Alpha - The Right to Kill (Brillante Mendoza)

note: 4Société philippine et saine "Kohler" des peuples Marcello - 12 février 2024

Réalisateur philippin plutôt apprécié des grands festivals français et internationaux, Mendoza dénonce dans la plupart de ses films, les problèmes liés au trafic de drogue et la violence qui lui est corrélée.

Un peu à la façon dont Robert Bresson l'a fait dans "L'argent" avec un faux billet de 500 francs, c'est ici le sac à dos d'un caïd de la drogue tué à l'occasion d'une descente de police musclée, qui sert de fil directeur en passant de main en main.
Ce dispositif permet au réalisateur de dénoncer à l'aide d'un récit policier bien rythmé, les rouages structurels de la corruption policière et politique où les édiles profitent d'une population plongée dans le plus extrême dénuement pour agir dans la plus totale impunité.

Mise en scène "réaliste", caméra très mobile, au plus proche des personnages et au coeur de l'action (on peut le voir comme un film d'action plus axé sur la dénonciation d'une société malade, que sur le pur divertissement), le réquisitoire est implacable : la société philippine est gangrénée du bas jusqu'en haut de la pyramide, tout le monde utilise tout le monde tant que cela sert à se faire de l'argent, un fonctionnement qui parvient à se maintenir artificiellement grâce à l'hypocrisie générale et une bienpensance de façade.

On ressort de cette vision démonstrative comme essoufflés, estomaqués par le portrait que Mendoza fait de la société dont il témoigne.
Une fois la galette sortie du lecteur, le spectateur français ne peut contenir son soulagement, lui qui réalise la chance qu'il a de pouvoir vivre dans un pays épargné par l'arbitraire, le déclassement, la misère, et leur corollaire : la rapacité d'une certaine élite qui mène la plupart du temps à une corruption endémique, de celle en capacité de mettre les gens en "Kohler"...

L'âge de cristal (Michael Anderson)

note: 3Dystopie seventies kitsch Marcello - 8 novembre 2023

Kitsch et curieuse dystopie réalisée en 1976, typique de ce que pouvaient produire les gros studios de l'époque, où le futur entrevu pour l'Humanité ne s'avérait pas très enviable ("Soleil vert" et "Le survivant", tous les deux avec Charlton Heston, l'ont précédée quelques années auparavant), cette production MGM a bénéficié de moyens conséquents pour donner vie à la société futuriste qui y est décrite : les décors sont impressionnants, les costumes un poil moins, et les maquettes en dur d'hier, plutôt bien filmées, n'ont - à mon sens - rien à envier aux toiles de fonds numériques d'aujourd'hui.

Ne vous arrêtez pas sur la facture disco-kitsch décidément très datée et haute en couleurs, car ce film s'avère très prophétique, qui a anticipé l'Internet (l'Ordinateur-mère qui gère et surveille cette société, une sorte de module-tchat qui permet de choisir des partenaires en ligne) mais aussi les smartphones (les talkie-walkies des Traqueurs vêtus de noir, affichent des messages écrit sur un petit écran).
C'est le genre d'oeuvre qui n'a pas très bien vieilli et risque d'ennuyer le spectateur contemporain (il y a des longueurs, notamment dans nombre de séquences dialoguées, et certains effets-spéciaux sont désormais obsolètes), mais dont la vision ne peut laisser insensible, encore aujourd'hui, grâce aux funestes thématiques abordées : ère post-nucléaire ou catastrophe écologique (on sait juste que la surface de la Terre est inhabitable), euthanasie forcée (interdit de vivre au-delà de 30 ans), contrôle des naissances, bonheur imposé à l'aide de simulacres et où toute personne qui ose questionner les dogmes en place devient très vite suspecte (tiens ?... ça rappelle des trucs récents...).

Le spectateur cinéphile notera que le film paye son tribut à "La planète des singes" (la statue d'Abraham Lincoln et le Capitole sous la végétation rappellent directement la "Zone interdite" et la sidérante découverte finale de la saga simiesque des seventies), au "Meilleur des mondes" d'Huxley (société qui contrôle les naissances et annihile la notion de famille) et aussi à "Zardoz" et "Rollerball" (le "héros" d'abord complice, qui se pose des questions et finit par devenir lui-même traqué jusqu'à contribuer à l'éveil des oppressés).
Si vous aimez l'anticipation américaine à gros spectacle qui brode sur des lendemains qui n'annoncent rien de bon (en faisant abstraction de tout ce qui a vieilli), cela reste un film à voir tant pour la trame générale, que pour la contextualisation du genre dans les années 70 (le spectateur conquis pourra compléter avec les DVD cotés à "SF BOO", "SF FLE", "SF SAG", "SF JEW" et "SF SCH", déjà cités plus haut).

Après ce film, en 1977, une certaine guerre des étoiles fut déclarée au sein de l'industrie cinématographique (avec la renommée planétaire que l'on sait) : depuis, les gros films de SF grand-public - à quelques exceptions près (on peut citer le médiocre "The island", cote "SF BAY" ou les "Hunger games", par exemple) - ont définitivement cesser d'amener leurs spectateurs à se poser des questions au profit du "tout-entertainment" sans enjeux et qui console.

LA/LES SÉQUENCE(S) MÉMORABLE(S) : la séquence du Carrousel s'avère à la fois comique (involontairement) et inquiétante lorsqu'on voit des figurants extatiques qui applaudissent pour saluer les mises à mort du Renouveau ; le robot "boîte-de-conserve" dans la grotte des glaces, les costumes bigarrés très disco portés par les figurants (d'où il émane un je-ne-sais-quoi d'érotique), les tenues-pyjama des Traqueurs, sans parler de leurs pistolets-laser (qui font furieusement songer à certains de nos vieux allume-gaz des années '80 !), tout cet attirail vaut son pesant de "cahuètes" ; Peter Ustinov et ses chats dans le Capitole désert.

Chute libre (Joel Schumacher)

note: 3"Grand Theft Auto" avant l'heure Marcello - 31 octobre 2023

Début de journée, sur une autoroute embouteillée de Los Angeles, écrasée de chaleur : Bill Foster - un quidam en cravate propre sur lui - perd totalement pied et abandonne subitement son véhicule en place.
Il se dirige à pied vers le domicile de son ex-femme qu'il n'a juridiquement plus le droit d'approcher. En chemin, les membres d'un gang le prennent à parti mais il parvient à leur subtiliser des armes à feu : de là débute son parcours d'ange exterminateur dans les rues de la ville...

Le stress généré par une métropole au rythme aliénant, un homme dépassé par des ennuis personnels sujet à une dislocation mentale qui monte en crescendo, Michael Douglas et Robert Duvall dans des rôles antinomiques et qui portent quasiment tout le métrage sur leurs épaules.
Une représentation pas toujours subtile - mais parfois drôle - de l'aliénation urbaine et d'un certain malaise social vécu par un homme aux tendances paranoïaques prononcées.
On a beau avoir en arrière-plan, la condition de l'homme qui ne trouve plus sa place dans l'univers où il vit, cela n'en fait pas pour autant un film qui pose des questions métaphysiques : Joel Schumacher, c'est le type qui a flingué la première franchise Batman du début des années '90, ne l'oublions pas !
La mise en scène ne brille pas par son sens du raffinement : voir la séquence d'intro avec une répétition de gros inserts déformants sur les gouttes de sueur et les sons sur-saturés de la ville qui "justifient" le pétage de plomb de M. Douglas.
Le scénario est au diapason et ne s'embarrasse pas de nuances : une rage aveugle qui explose contre des voyous latinos, et tout y passe, du commerçant coréen qui parle mal l'anglais, au négociant néo-nazi homophobe qui vend des surplus de l'armée, sans oublier les travaux routiers qui s'éternisent, ne se justifient pas et provoquent des bouchons monstrueux ; en toile de fond, l'épouse divorcée acariâtre qui refuse la garde de l'enfant.
A noter toutefois la séquence désopilante dans un fast-food où l'anti-héros se plaint - pistolet mitrailleur à la main - que les burgers que l'on mange ne ressemblent absolument pas à ceux que l'on voit sur la photo (on cherche encore à déterminer si l'humour y est volontaire ou pas).
Un film à la facture nineties très appuyée, le cul entre deux chaises : est-ce un vigilante-movie ou un actioner dramatico-bourrin ?
Le fait qu'un tel film existe est déjà hautement improbable en soi, et rien que pour cette raison, mérite un coup d'oeil conciliant. Une véritable curiosité oubliée de nos jours à visionner en mettant de côté tout premier degré.

LA/LES SÉQUENCE(S) MÉMORABLE(S) : le pétage de plomb dans le fast-food parce que l'heure du petit-déjeuner est échue depuis 3 minutes ; Michael Douglas qui corrige la prononciation et la syntaxe anglaise défaillantes du commerçant coréen ; la destruction de la cabine téléphonique au pistolet-mitrailleur parce qu'un autre usager trouve que Foster y passe trop de temps ; les gamers trouveront des similitudes troublantes entre l'unité de lieu, les déambulations erratiques de Foster dans les rues de Los Angeles et le jeu "Grand theft auto", qui n'est apparu que quelques années après.

Le Loup garou de Londres (John Landis)

note: 4Hurlons sous la pluie Marcello - 20 octobre 2023

C'était le temps des films qu'on laissait réaliser à des types qui avaient l'amour du métier chevillé au corps (ici, John Landis qui scénarise et réalise).
C'était le temps où les artisans aux manettes des effets spéciaux vous bricolaient avec du latex, des pistons et du système D au niveau du son et du montage, des séquences comme cette spectaculaire, douloureuse et turgescente transformation homme-loup qui - on peut l'affirmer sans trembler du museau - est restée dans les annales du cinéma fantastique.

Le voyage de deux jeunes américains du "Nouveau Monde" dans les highlands de la "vieille Europe" prend une tournure cauchemardesque : après que l'un d'eux ait été méchamment boulotté par une créature indistincte, le survivant entraîne avec lui jusqu'au sein de la métropole londonienne, une terreur ancestrale sous la forme d'un lycanthrope glouton et d'un zombi volubile (et accessoirement putréfié). La trame et le thème ne sont pas super-innovants, mais le film met efficacement en image l'irruption de la liberté sauvage et animale en plein coeur d'une civilisation où l'individu est domestiqué.

Réalisé en 1981, à cheval entre deux décennies, c'est une relecture contemporaine du film de loup-garou, qui s'autorise un salutaire mélange comico-grotesque et désamorçe le gore, sans jamais parodier le genre. Sa facture résulte du croisement entre un certain cinéma cru et permissif des '70s et le visuel bling-bling et l'approche goguenarde des '80s.

Les fans d'horreur à la manière des comics US (genre "Creepshow" ou "Contes de la crypte") se régalent ; le jeune spectateur curieux sera bien avisé d'enrichir sa filmographie avec un jalon des classiques cultes. Le complétiste quant à lui, visionnera "Hurlements" dans la foulée (cote DR DAN), l'autre film de loup-garou réalisé la même année, où les concepteurs d'effets spéciaux se livraient à une course à l'excellence, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Peu de temps après, Michael Jackson fera appel à ces équipes pour le transformer en loup-garou dans le clip "Thriller"... (mais ceci est une autre histoire).

Le visiteur du futur (François Descraques)

note: 1"L'égoût" et les couleurs, ça se discute pas Marcello - 13 octobre 2023

Quand le cinéma de genre français se trimballe un titre pareil, tu te demandes si les gens du métier ont réellement les compétences requises pour les postes qu'ils occupent (je sais pas : faut pas aimer un minimum le cinéma et le respecter pour travailler dans cette industrie ?...).

La facture visuelle est tellement indigente qu'on dirait ce film et la série "Plus belle la vie" sortis du même moule de médiocrité (partageraient-ils les mêmes chef opérateur et production design ?...), scénario et effets-spéciaux ont été respectivement écrits avec des moufles et réalisés à la truelle. C'est pas parce que tu adaptes un manga connu et que tu insères une petite critique sur les risques du nucléaire, que tu peux te permettre de jeter les métiers du cinéma aux orties.
Puisqu'on est surtout dans une comédie avant d'être dans une dystopie SF option voyage temporel, on voit défiler au générique quelques noms de notre répertoire "comique" national (surtout télévisuel... de toute façon, c'est pas compliqué : quand ils ne viennent pas de la scène stand-up, les acteurs "comiques" sont issus d'une série télé... "Plus belle la vie" aussi ?...).
Lorsque de surcroît, un casting compte à son actif deux tristes hurluberlus youtubeurs, copains comme cochons de notre "Mozart de la finance" national interviewé par "Pif gadget" (les mêmes qui sont allés faire des roulades dans les jardins de l'Elysée...), je pense que le message est clair : d'une part, la gaudriole et le foutage de gueule en France ne se logent pas nécessairement dans une fiction étiquetée "comédie"... ; d'autre part, la notion de "qualité de l'interprétation" semble être toute relative pour les éminences grises à la tête d'une telle production.

Alors oui, je l'admets : je n'ai pas pu supporter d'en visionner plus de 30 minutes ; il se peut donc que ma subjectivité de spectateur aigri m'aie fait passer à côté de l'heure de métrage restant, où l'on voit d'un seul coup le film devenir l'Everest du fun et enchanter l'univers SF-dystopique (c'est vrai, rien n'est impossible après tout...). Visionnez-le intégralement pour faire votre propre avis. Et puis, comme le disait ma mère-grand : "Si t'aimes pas, n'en dégoûte pas les autres".

Saw (James Wan)

note: 2La morale dans les "saw"-7 Marcello - 11 octobre 2023

Franchise qui a entériné le terme de "torture-porn", appellation inventée par la critique pour définir le sous-genre auquel appartient cette saga.

Spectateur avide de sensations fortes, toi qui t'aventures dans cette saga, oublie tout espoir : ta cinéphagie exhaustive t'entraînera dans de sombres contrées qui n'honorent ni le genre fantastique, ni le thriller, ni le policier (oui, parce que cette saga se veut être un subtil mélange d'un peu tout ça, histoire de maintenir l'attention du spectateur).
On évolue ici dans le gore le plus frontal, sans une once d'humour. Pas de sous-texte non plus, aucune métaphore ou allégorie sociétale, aucune tendance à la suggestion (c'est pour ça qu'il y a le mot "porn" dedans, t'as compris ?).

Le coffret disponible à la médiathèque permet aux petits maso' de "binge-watcher" les 8 épisodes. Au-delà du risque d'indigestion, cela aide à repérer les nombreuses récurrences, passages obligés, facilités scénaristiques.
Les décors (toujours les mêmes : des commissariats, hôpitaux ou des ateliers à l'ambiance post-industrielle) baignent sous des éclairages qui oscillent entre le jaune-pisseux et l'obscurité bleuâtre ; une direction d'acteur à la ramasse ; un montage épileptique dans les choux ; du twist en rafale (c'est bien, les twists : ça fait toujours son petit effet, et ça comble les béances scénaristiques).
Récurrence des situations :
* les victimes se réveillent dans des pièces chausse-trappe à l'hygiène douteuse, enferrées dans des ustensiles de torture à l'ingéniosité délirante dont elles doivent tenter de s'extraire en se découvrant des points communs (elles y laissent généralement un oeil, un membre ou - pire ! - leur téléphone portable). Cela donne lieu à un joyeux festival d'horreurs telles qu'(auto)-mutilations, écartèlements, énucléations, décapitations, éventrations, sciages en tous genres (ça s'intitule "Saw", t'as capté le truc ?).
* des gimmicks : les phrases sentencieuses prononcées d'une voix caverneuse par le fourbe et très moralisateur Jigsaw pour expliquer à la fois ce qui est reproché aux victimes (qui se trimballent autant de casseroles que toute la macronie réunie, c'est dire l'ampleur du boulot...), et les consignes à suivre pour y laisser le moins de viande possible.
* recherche du coupable ("mais si Jigsaw est mort, qui donc continue sa funeste tâche ?..." et les policiers de lutter contre la montre et d'arriver systématiquement à la bourre sur les lieux de tueries).
* un côté "24 heures chrono" systématique (y a toujours un chronomètre super-anxiogène).

La fin de chaque épisode est l'occasion d'un cliffhanger qui permet de répéter une trame similaire épisode après épisode, tout en étoffant le récit par des révélations et développements inattendus, d'une complexité qui se voudrait "diabolique".
On est face à une dynamique scénaristique clairement inspirée des vieux "serials", une tendance annonciatrice - avec 15 ans d'avance - du devenir de l'industrie des séries à rallonge dont nous mitraillent désormais toutes les chaînes à abonnement qui ont fleuri depuis, mais aussi de la mode des escape-games.

Avec tout ça, on en vient à se poser des questions vertigineuses : qui - des scénaristes qui ont écrit les histoires de "Saw", ou des spectateurs qui les regardent - sont les plus pervers ? Et d'ailleurs, est-ce un acte "pervers" que de se repaître d'une telle saga ? Y aura-t-il de la purée à la cantine ?... (vous disposez de 4 heures pour rendre une copie d'au moins 7 pages manuscrites).

The Sadness (Rob Jabbaz)

note: 2Du gore et des sous-entendus salaces pour un film de contaminés qui ne sort pas des ornières Marcello - 18 septembre 2023

Cet énième récit de contaminés-zombifiés s'est taillé une réputation très favorable grâce aux réseaux sociaux lors de sa sortie. Il a aussi bénéficié d'une certaine mansuétude lors de son passage dans des festivals spécialisés.
Premier métrage de son réalisateur, fruit d'une hasardeuse co-production américano-taïwanaise, tourné avec peu de moyens et des acteurs inconnus, peu avare en séquences gores, ce film a de quoi filer des crises d'apoplexie au spectateur lambda peu coutumier des séquences-chocs (et dieu sait si on les empile ici !).
Une tendance appuyée aux situations salaces, une longue séquence d'attaque plutôt bien gérée dans un wagon de métro, ce sont là les seuls traits d'originalité du thème archi-rebattu des contaminés cannibales.
Horreurs et méchancetés en tous genres qu'aucun second degré ne vient désamorcer (ou si peu), pas de grotesque salvateur. Le reste du film est paresseux et déroule son récit de survie somme toute classique (ce qui n'exclut pas un certain divertissement pour les amateurs du genre). Malgré une générosité dans l'ultra-violence (c'est d'ailleurs le seul argument marketing de cette production), le spectateur qui attend une dramaturgie un tant soit peu originale finit par s'ennuyer face à trop de redites. Dommage que "générosité" n'aille pas de pair avec "imagination" : les codes du film de zombie ne sont pas transcendés. Pour les amateurs purs et durs du gore et de l'ultra-violence.

Broadway Danny Rose (Woody Allen)

note: 5Woody Allen en imprésario dans une comédie douce-amère Marcello - 15 septembre 2023

Si vous avez aimé le "Manhattan" de Woody Allen, classieuse ode en noir et blanc à la ville de New-York sur un accompagnement musical de George Gershwin, vous devriez apprécier "Broadway Danny Rose", jolie déclaration d'amour de son auteur à l'univers du show-business et des impresarios de Broadway du tout début des années '80.
Avec le même noir et blanc travaillé, dans une New-York au rendu mélancolique, W. Allen nous plonge dans l'univers très codé de cette surprenante faune humaine qui gravite autour des spectacles de cabaret : ses agents, acteurs, chanteurs et spectacles y sont décrits d'une façon gentiment désopilante. Cela est décrit avec une infinie tendresse et sur le ton de satire douce-amère, le réalisateur y tient le rôle principal de l'impresario Danny Rose, un homme au grand coeur, malchanceux mais passionné par son travail.
On y croise aussi Mia Farrow, presque méconnaissable dans un rôle haut-en-couleurs de maîtresse instable qui mène le bal entre son amant de chanteur italien kitsch et Danny Rose, son agent. Les seconds rôles sont savoureux, les italos-américains sont gentiment croqués, les situations sont croquignolesques (on dirait un cartoon, parfois).
Film un peu oublié de son auteur, qui regorge de dialogues hilarants, de portraits drôles, sensible et délicat qui - même s'il décrit un univers peu connu du spectateur européen - retient l'intérêt et fait passer un bon moment au spectateur qui s'y attarde.

L'anomalie (Hervé Le Tellier)

note: 2Oeuvre chorale pour mystère quantique Marcello - 25 août 2023

J'ai lu ce roman non pas parce qu'il est auréolé du prix littéraire qu'on lui connaît, mais tout simplement parce que le sujet principal titillait ma curiosité de lecteur de genre fantastique.

Sur ce plan là, on va dire que je n'ai pas été trop déçu.
Le lecteur échappe aux explications univoques quant aux causes exactes du phénomène surnaturel à l'origine de cet étrange dédoublement d'un avion et de ses passagers (même si on lorgne plutôt du côté de la physique quantique - très dans l'air du temps ça, la physique quantique d'ailleurs...). Cela ne semble pas être ce qui intéresse l'auteur (contrairement à un ouvrage de "genre" pur et dur), qui travaille plutôt le matériau humain, les conséquences qu'un tel scénario sous forme de "et si..." pourrait entraîner sur les existences concernées.

Cela m'a furieusement fait penser aux "Langoliers" de Stephen King (je n'ai lu aucun autre avis sur Babelio, mais j'imagine ne pas être le premier à repérer cette référence - s'agit-il d'une référence d'ailleurs ?), sauf que c'est mieux écrit.

J'ai toutefois été passablement ennuyé par la prépondérance des considérations psychologiques que cette "anomalie" occasionne sur la galerie de personnages en présence. J'ai bien conscience que c'est précisément ce qui fait tout l'intérêt de ce roman, contrairement à un récit fantastique lambda, mais j'ai trouvé pour ma part les 30 dernières pages (à la louche) assez gavantes.
Je ne me suis sans doute pas suffisamment attaché aux personnages pour me sentir concerné par les questionnements ontologiques et vertigineux qui les assaillent.

Les arcanes des prix littéraires m'étant inconnues, je ne m'aventurerai pas dans des questionnements sur les raisons qui justifient l'attribution du Goncourt à ce roman... mais je m'interroge poliment...

De loin pas une lecture marquante et inoubliable.

(Avis déjà publié sur Babelio)

Ed Gein (Harold Schechter)

note: 4Ed Gein, le triste tueur en série à l'origine de "Psychose" Marcello - 25 août 2023

Ce roman graphique est une somme, c'est une brique pour laquelle deux heures m'ont été nécessaires afin d'en venir à terme (ce qui est rare pour une BD "classique" qu'on lit généralement en 30 à 45 minutes).
Dense, complète sur le sujet, un dessin, un découpage et surtout un scénario qui ont contribué à me rendre cette oeuvre très lisible et captivante.
Alors oui, c'est vrai que ça ne respire pas la joie de vivre et qu'il faut vraiment avoir une drôle de curiosité pour être absorbé, captivé de la sorte par les chroniques d'un type aussi "monstrueux".
Notre attirance pour ces êtres que les choix de vie ont amené aux marges de l'humanité n'est plus à démontrer ou à expliciter : c'est ainsi (hélas ?...).
Que n'aurais-je lu un biopic sur mère Teresa, Gandhi ou Pic de la Mirandole : j'y aurais appris plus de belles choses sur ce que la nature humaine produit de meilleur...

Roman graphique très bien documenté, on réalise que le travail de restitution a été solidement étayé, notamment la dernière partie, dévolue aux considérations juridiques, mais aussi aux répercussions sociétales induites par l'approche journalistique qui en a été faite à l'époque.
Le lecteur passe de la stupéfaction à la sidération.
Enfant d'un couple mal assorti, Ed Gein a baigné dans la violence intra-familiale, l'alcoolisme du père aidant, la bigoterie excessive de sa mère très possessive (voire castratrice). La cellule familiale comme "incubateur de folie" pure (comme il est si bien dit dans la BD).

La conclusion est que cette sordide histoire d'être déviant (le premier a avoir choqué l'Amérique des années 50) est à l'origine de la fascination états-unienne pour la figure du tueur en série psychotique - notamment dans la culture populaire - à l'origine du roman "Psychose" qui a donné naissance au film que vous savez, lui-même matrice des "Massacre à la tronçonneuse", "Silence des agneaux" et bien d'autres encore.

Il est à préciser qu'il s'agit d'une lecture pour lecteurs avertis.

(Avis déjà publié sur Babelio)

Oeuvres complètes n° 4
Les vitamines du bonheur (Raymond Carver)

note: 4Des nouvelles de Raymond Carver Marcello - 17 août 2023

Premier contact avec cet auteur dont je connaissais une partie de l'univers grâce à l'adaptation ciné que Robert Altman avait réalisé sous le titre "Short cuts" dans le milieu des années '90.
On retrouve d'ailleurs dans ce recueil, l'une des nouvelles utilisée pour ce film fleuve de 3h, intitulée "Une petite douceur" (à mon avis la meilleure de tout le livre et aussi la plus bouleversante du métrage).

Tranches de vies d'américaines et américains moyens, souvent au mitan de leurs chiches existences.
Récits de couples déchirés, familles recomposées, vies chaotiques prises en tenailles entre petits boulots mal payés, alcoolisme, platitude de l'existence (on regarde souvent la télé faute de mieux dans la plupart de ces nouvelles), déménagements d'un bout à l'autre du vaste territoire US.
Portions d'existences que l'on devine minées par la fatalité d'une condition moyenne aussi collante qu'un chewing-gum collé sous la semelle.

On dirait du Wim Wenders période "Paris, Texas" pur jus tant les univers se ressemblent, l'incommunicabilité en moins toutefois, car on échange abondamment chez Carver (qu'on soit chez une coiffeuse à domicile, ou autour de sujets aussi triviaux qu'un frigo qui tombe en panne et dont il faut rapidement cuire les aliments pour éviter le gaspillage).
Cet univers peut sembler de prime abord trivial, médiocre et inintéressant après les 3 ou 4 premières histoires - majoritairement courtes - mais la capacité de l'auteur à dresser les solides portraits psychologiques de cette myriades de personnages fait mouche pour chacune des nouvelles et l'on s'attache rapidement à ces caractères rapidement mais très finement brossés.

Belle découverte en ce qui me concerne, je lirai certainement d'autres recueils de nouvelles de cet auteur.

(Avis déjà posté sur Babelio)

Chère Louise (Philippe de Broca)

note: 4Louise et Luigi Marcello - 19 juin 2023

Petite curiosité jaillie des oubliettes de la cinéphilie, à l'occasion d'une récente restauration pour une sortie dans les salles parisiennes en mars 2022. Bien que le réalisateur et Jeanne Moreau soient loin d'être des inconnus du grand public d'hier et d'aujourd'hui, c'est l'échec du film à sa sortie en 1972 qui explique cette chute dans l'oubli.
C'est un drame sentimental à la fois simple et grave, solaire et mélancolique, qui brasse les éléments d'une jolie histoire d'amour moderne (écarts générationnel, géographique et sociologique entre les deux personnages principaux), et la mélancolie des illusions qui s'étiolent au gré du temps qui passe (les attentes des amants s'avéreront être aux antipodes ; J. Moreau irradie dans ce rôle de quadragénaire amoureuse et éprise de liberté).
La ville d'Annecy à l'orée des années '70 et la Haute-Savoie où le film a été entièrement tourné en décors naturels, participent du charme suranné qui se dégage du film.
Une pincée de Truffaut, un zeste de Claude Sautet, un soupçon d'Yves Robert (qui tient d'ailleurs ici un petit rôle), le bel accompagnement musical du grand Georges Delerue, une direction d'acteurs parfois décalée : ce n'est pas une oeuvre incontournable de notre patrimoine national, mais les amoureux d'un certain cinéma populaire trouveront dans ce métrage, tous les ingrédients qu'ils affectionnent. Pour les autres, ce film peut constituer une plaisante découverte ou immersion.

Elvira Madigan (Bo Widerberg)

note: 4De Krisprolls et d'eau fraîche Marcello - 15 juin 2023

Enième restitution cinématographique de l'histoire d'amour absolu et exclusif. Ce qui surprend - outre l'admirable restauration dont il a fait l'objet - c'est l'extrême modernité plastique de ce film que l'on peine à croire daté de 1967. Un peu comme si l'univers visuel du "Picnic à Hanging Rock" de P. Weir croisait l'oeuvre d'Ingmar Bergman, les considérations philosophico-métaphysiques en moins, voyez ?
Le métrage adapte un vieux récit du folklore historique suédois du XIXe siècle, très populaire en ces contrées (l'intense relation interdite entre un jeune soldat déserteur et une belle équilibriste de cirque) : raffinement de la mise en scène, accompagnement musical idoine (oui, Mozart...), superposition de temporalités (présent du récit et flash-backs explicatifs), unités de lieu bucoliques et champêtres confèrent à l'ensemble une vision édénique.
Dit comme ça, on pourrait s'attendre à un film niais, mais l'écueil du cliché et de la redite est habilement évité et le spectateur se laisse emporter par cette belle et tragique histoire qui - depuis Tristan et Yseult, ou Roméo et Juliette - nous a été mille fois contée, mais dans laquelle on se laisse entraîner avec délectation.
L'occasion de découvrir un cinéaste suédois talentueux, d'autant que la médiathèque propose deux autres films de Bo Widerberg au catalogue.

Retour à la normale (Christina Firmino)

note: 5Damoclès nucléaire Marcello - 6 juin 2023

Faux documentaire qui rend compte des conséquences d'un accident fictif survenu dans une centrale nucléaire française civile indéterminée.
Le point d'intérêt majeur est d'avoir alterné interviews d'acteurs qui interprètent des réfugiés déplacés, et interviews de vrais spécialistes du nucléaire qui livrent leur expertise sur la situation, comme si elle avait réellement eu lieu avec ce qui semblent être des arguments et des données prospectives (terriblement) réalistes. La démonstration est convaincante, bien qu'à charge.
Le résultat s'avère troublant, inquiétant, voire carrément dérangeant tant le spectateur perçoit ce qui relève du sous-entendu : le risque extrême (certes hypothétique) au prix du tout confort moderne, l'acceptation conciliante des populations que nous sommes à partir de choix politiques qui semblent relever du "doigt mouillé".
A mettre entre toutes les mains, surtout dans notre pays où - ne l'oublions pas - les autorités ont toujours farouchement minimisé les retombées de l'accident de Tchernobyl en 1986.

The Servant (Joseph Losey)

note: 4Deux hommes, dont un aigrefin Marcello - 6 juin 2023

Subtile allégorie de la lutte des classes à travers un récit à huis-clos où les protagonistes s'adonnent à des jeux de pouvoir et de domination morbides et destructeurs.

Tous les artefacts de la mise en scène sont mis à contribution pour une oppressante sensation d'enfermement mental : l'appartement cossu comme unité de lieu unique (on admire le tour de force qu'a représenté le tournage dans un espace aussi étroit !), l'utilisation de la profondeur de champ, des surfaces réfléchissantes et d'un noir et blanc expressionniste.
Les quatre acteurs principaux sont extraordinaires (l'interprétation de Dirk Bogarde marque durablement le spectateur).
De feutré et élégant, le climat se fait peu à peu anxiogène, l'atmosphère décadente à souhait.

Le spectateur cinéphile saura reconnaître ce que le récent métrage coréen "Parasite" (DVD et BR, cote "PO BON") doit à ce film anglais réalisé il y a 60 ans.

New York 1997 (John Carpenter)

note: 4Dystopie visionnaire Marcello - 25 mai 2023

Lorsque Carpenter réalise ce film au tout début des années '80, 1997 ne peut s'envisager qu'au prisme d'un futur urbain dégradé ("Les guerriers de la nuit" avaient ouvert la voie à ce type d'inquiétantes prévisions quelques années auparavant).
Le réalisateur visionnaire l'évoque dans l'interview des bonus : dans cette Amérique pré-Reaganienne, le taux de criminalité et l'émergence du régime qui va avec, relevaient d'une projection métaphoriquement plausible.
La géniale introduction installe les postulats de cette inquiétante dystopie : l'île de Manhattan est une gigantesque prison à ciel ouvert, les USA ont basculé dans un régime autoritariste. Le personnage de Snake Plissken - vétéran d'une guerre brièvement évoquée - tout droit issu d'une BD anar', est missionné pour exfiltrer le Président US, seul survivant après qu'Air force One ait été précipité contre un gratte-ciel non loin du World Trade Center, par des activistes anti-mondialistes (troublante clairvoyance).
Cauchemar urbain rythmé par une lancinante musique synthétique, malaise politique et social palpables, atmosphère millénariste, anti-héros nihiliste : on n'est pas là pour rigoler. Certains effets ont vieilli, le film a beaucoup été imité avec des avatars testostéronés, à l'action décérébrée. L'apocalypse sociétale, Carpenter l'avait déjà entrevue en 1980 et ce fantastique là est un diamant noir et pur à la portée politique prophétique inaltérable.

Le facteur sonne toujours deux fois (Bob Rafelson)

note: 3Et pourquoi pas trois ? Marcello - 22 mai 2023

Troisième adaptation d'un roman de James McCain, quarante ans après les versions noir et blanc US puis néo-réaliste de Luchino Visconti (DVD cote "DR VIS").
La trame est très connue, qui reprend celle du "Thérèse Raquin" d'Emile Zola (déjà un authentique concentré de littérature "noire" avant l'heure).
Le film vaut principalement pour la présence de Jack Nicholson et Jessica Lange (de grandes stars à l'époque), et pousse un peu plus le curseur du combo violence/sexe : ce qui était suggéré dans les précédentes versions devient ici beaucoup plus explicite. Malgré cette "modernité", on peut trouver les films d'origine plus intéressants que ce remake, précisément parce qu'ils laissaient plus de place aux non-dits (Lana Turner était - à mon sens - plus "scandaleuse" que Jessica Lange, mais bon...).
Les choix de mise en scène qui firent l'intérêt des premiers films de Bob Rafelson (cf. le magnifique "Cinq pièces faciles", DVD cote "CD RAF") s'effacent au profit d'une coûteuse restitution en couleurs de l'Amérique des années '30, un peu trop académique. L'intérêt que l'on porte à la trame s'estompe au fur et à mesure que l'histoire progresse, et la toute fin laisse une impression de facilité. Cela reste un film noir d'honnête facture, témoin d'une certaine conception eighties de la production ciné US à gros budget et gros casting, à voir surtout pour les prestations des deux principaux interprètes.

Teddy (Ludovic Boukherma)

note: 3T'as vu le loup ? Marcello - 12 mai 2023

Surprenante déclinaison rurale à la française du mythe du lycanthrope dont la mise en scène et certaines situations ne sont pas sans rappeler à la fois "P'tit Quinquin", Pialat et les frères Dardenne (certes, le rapprochement pique un peu, mais vous comprendrez en regardant tout ça).
Le film prend son temps pour nous présenter le personnage principal (l'incarnation de l'anti-héros à lui seul), son environnement très particulier et des personnages secondaires parfois généreusement barrés.
Ce n'est pas totalement réussi, mais cela reste déroutant et rafraîchissant ; le film oscille entre chronique sociale et adolescente, mais aussi comédie horrifique.
L'étroitesse du budget se ressent car les effets sont très discrets mais cela ne gâche rien puisqu'on est en présence de quelque chose qui dépasse le simple film de loup-garous.
La séquence finale dans la salle des fêtes est surprenante : minimalisme des effets spéciaux, avec une subtile et lugubre allusion aux attentats du Bataclan. Mention spéciale au jeu décalé de l'acteur principal.

Smile (Parker Finn)

note: 2Souris à la mort Marcello - 12 mai 2023

A la lecture de son pitch, ce film laisse d'autant augurer un vent de fraîcheur sur le genre qu'il ne s'agit ni d'une suite, ni d'un remake, ni d'une préquelle, ni d'un reboot, ni d'une adaptation de série, BD ou jeu vidéo.
Hélas, plus le métrage voit son personnage principal sombrer dans la folie, moins le scénario se tient sur la durée, sans parler de l'utilisation des clichés usuels (un passé traumatique qui permet de questionner la véracité objective de ce que vit l'héroïne).
C'est regrettable car l'idée de départ - qui rappelle beaucoup "Ring" ou "It follows" - aurait pu déboucher sur un résultat autrement plus efficace ; le travail sur le son et la musique contribue à l’installation d’une atmosphère oppressante.
Genre métaphorique par essence, le "fantastique" permet des lectures à divers niveaux : personnage de psychiatre elle-même psychiatrisée, inversion de la signification du sourire, ici annonciateur de mort (métaphores de l'inversion de certaines valeurs universelles à force de torsion du réel, pratique de notre environnement politique et médiatique de ces 3 dernières années ?), peur paranoïaque d'une malédiction contagieuse (métaphore de la pandémie virale ?).
Certaines séquences sont réussies : la fête d'anniversaire du neveu, ainsi que la séquence de la soeur à la fenêtre du véhicule. Mais cela ne suffit pas à sauver le film qui pêche par une sur-utilisation lassante des jump-scares, et une longueur excessive.

Europe 51 (Roberto Rossellini)

note: 5Pierre angulaire du cinéma mondial Marcello - 11 mai 2023

Il faut impérativement profiter de la version restaurée qu'offre le blu-ray récemment acquis par la médiathèque pour visionner ce "classique" bouleversant que l'on doit à l'un des plus grands noms du néo-réalisme italien d'après-guerre.
Le suicide d'un enfant contribue à l'éveil de sa mère, une aristocrate américaine, que cette douloureuse expérience va rapprocher des plus démunis dans une Italie en reconstruction minée par la misère. Choc des milieux sociaux, mais aussi des mondes européen et américain issus de la guerre.
Sur un sujet grave et tragique, à l'aide d'une mise en scène solennelle (noir & blanc froid, jeu austère des acteurs, Ingrid Bergman en protagoniste absolue, totalement habitée par son personnage touché par une grâce quasi christique), le film culmine dans un final à la force poétique impressionnante et invite le spectateur à questionner les fondements de l'être humain, son rapport au monde et à l'altérité, au prisme d'une foi mystique qui effraie l'Eglise elle-même (séquence la plus sidérante du film).
Rossellini tutoie les étoiles et évite au film l'écueil moralisateur et imbuvable qu'une telle histoire aurait donné entre les mains d'un réalisateur contemporain bien-pensant.
Inoxydable chef-d'oeuvre universel.

The Innocents (Eskil Vogt)

note: 5L'enfance nue Marcello - 2 mai 2023

La banlieue anonyme d'un pays scandinave où s'installe une famille dont les deux petites filles se lient d'amitié avec des enfants du voisinage : c'est l'amorce plutôt classique d'un film qui est une surprenante et très agréable découverte.
Les thèmes de l'enfance en souffrance y sont traités sous le prisme fantastique, l'accent étant mis sur le développement collectif de pouvoirs mentaux parmi un petit groupe de bambins, dont l'intensité (évidemment destructrice) ira crescendo.
L'intelligence de ce film repose sur le rendu très stylisé et inquiétant de l'unité de lieu (l'ensemble d'immeubles déserts et baignant sous une luminosité estivale presque irréelle).
La caractérisation des jeunes protagonistes (tous excellents !) n'est pas en reste, qui évite l'écueil d'une idéalisation béate : après la vision de ce film, qui pourra dire que les années d'enfance sont les plus belles d'une vie ?... (en outre, certaines séquences de cruauté pourront choquer les amis de nos compagnons à quatre pattes).
C'est enfin et surtout, l'extrême sobriété des effets spéciaux qu'il faut saluer, qui évitent de tomber dans la flatterie spectaculaire de nombreux films US.
Ces choix de mise en scène minimaliste contribuent à la crédibilité et la réussite du film, qui assure en même temps la filiation avec des classiques du genre "enfants maléfiques" tels que "Carrie", Damien (voire les jeunes X-Men sous certains aspects).

Parfum de femme (Dino Risi)

note: 5Dino Risi + Vittorio Gassman = belle comédie désenchantée Marcello - 25 avril 2023

L'édition restaurée de ce film est l'occasion de s'octroyer une belle portion d'un cinéma italien des années '70 désormais disparu.
Reprenant une trame très similaire à son film "Le fanfaron" (avec Gassman et Trintignant), Dino Risi nous offre une comédie de moeurs plutôt enlevée, sous laquelle pointe le drame intime du personnage du militaire aveugle joué par un immense Vittorio Gassman à l'interprétation histrionique. L'attitude arrogante et misanthrope de ce dernier cache en vérité une fêlure intérieure dont il se sert pour démystifier la perception du réel plutôt ingénue de "Ciccio", le tout jeune conscrit qui l'accompagne dans ses déplacements.
De Turin à Gênes, en passant par Rome et Naples, ce récit sous forme de "road-movie" ferroviaire est prétexte à un parcours initiatique où les protagonistes aux natures opposées apprennent les uns des autres. De bonhomme et cynique, la comédie glisse vers la mélancolie puis le tragique, un mélange des genres dans lequel le cinéma italien de l'époque a toujours excellé. Un film puissant et désenchanté.

E = mc2 (Christophe Galfard)

note: 5La mécanique quantique et l'infiniment petit à portée du plus grand nombre Marcello - 14 avril 2023

Si, comme moi, les cours de maths / physique vous filaient la boule au ventre depuis le collège ; si, comme moi, votre dyscalculie au stade terminal vous a toujours dicté que les grandes théories scientifiques n'étaient pas à votre portée ; si, malgré tous ces freins, vous êtes curieux de l'univers qui vous entoure et que vous n'êtes pas fâché avec tout ce qui a trait aux sciences dures, alors les écrits de Christophe Galfard sont faits pour vous !
Qui aurait cru qu'un livre portant le titre d'une équation pouvait à ce point être aussi intéressant pour un non-scientifique ?!...
Sachez qu'en parcourant les pages de ce petit livre, les portes d'une certaine perception de l'univers vous sont grandes ouvertes : vous découvrirez que ce qui est sous notre nez depuis toujours ne va pas nécessairement de soi, que les forces agissant au plus profond de notre être quantique sont formidablement mystérieuses et belles.

La méprise (Alan Bridges)

note: 5Drame intimiste oublié à découvrir grâce à une belle édition restaurée Marcello - 11 avril 2023

Réalisé en 1973, il s'agit de l'adaptation d'un roman de L. P. Hartley, auteur tombé dans l'oubli... un peu comme ce beau film dont la vision ne devrait pas vous décevoir.
A partir d'une trame archi-rebattue - l'histoire sentimentale entre personnages qui appartiennent à des milieux sociaux antagonistes - le réalisateur met au service de sa réalisation feutrée, un scénario d'une grande subtilité et des acteurs formidables pour un récit que l'on pourrait presque qualifier de huis-clos (une automobile et des intérieurs cossus pour seules unités de lieu).
Cette touchante histoire d'une femme qui se reconstruit après une dépression grâce à l'irruption dans sa vie d'un chauffeur dont elle loue les services, aborde in fine un sujet d'ordre universel : celui des relations humaines biaisées par l'argent et le pouvoir, mais aussi l'hypocrisie des castes sociales.
L'élégance et le raffinement de la mise en scène, la mélancolique photographie automnale, la parfaite harmonie entre les deux acteurs principaux, tout ces dispositifs contribuent à fluidifier la vision de ce drame intimiste et amer, qui ravira les spectateurs amateurs de belles oeuvres où la qualité de la forme vient sublimer le fond et lui éviter l'écueil d'une démonstration sociologique pesante. Subtil et bouleversant.

Le Plaisir (Max Ophüls)

note: 5La ronde des plaisirs Marcello - 23 mars 2023

En adaptant Maupassant, l'auteur français qui fait aimer la littérature dite "classique" (y compris à ceux qu'elle rebute), le réalisateur Max Ophüls fait aimer le cinéma français en noir et blanc (y compris à ceux qu'il décourage).
Vous y découvrirez que ce cinéma des années '50 ne rime pas nécessairement avec une mise en scène ankylosée : la caméra agile et ample de la séquence liminaire du bal, la présentation de la vie grouillante qui règne dans la maison Tellier témoignent d'une maîtrise ébouriffante où les prouesses visuelles servent admirablement le récit pour le pur plaisir du spectateur.

Le sketch de la maison Tellier est un régal pour les yeux : douceur de la photographie, soin apporté aux costumes, jeu délicieusement suranné des acteurs, on jurerait voir s'animer devant nous les plus beaux tableaux impressionnistes d'Auguste Renoir ou Monet (ici, le N&B est littéralement "couleur" !).

La mise en scène vivifiante d'Ophüls atténue la férocité et l'habituel sens de la noirceur de Maupassant mais puisque l'art est ici au service de l'Art, on ne saurait bouder son plaisir.
C'est aussi l'occasion de retrouver (ou découvrir, pour les plus jeunes spectateurs) de grands acteurs tels que Jean Gabin ou Danielle Darrieux dans des rôles savoureux.
Si vous ne deviez voir qu'un seul film de ce réalisateur ou emprunter une porte d'entrée à sa filmographie, c'est celui-là qu'il faut voir !

Zelig (Woody Allen)

note: 5Brillant documenteur intemporel Marcello - 23 février 2023

Bien qu'ayant une carrière prolifique, "Zelig" est l'unique (et brillante) incursion de W. Allen dans le genre très spécifique du "documenteur" (ou "faux documentaire").
Le réalisateur utilise avec maestria tous les codes visuels et narratifs du documentaire pour lever le voile sur un épisode soit-disant oublié de l'histoire américaine des années '20 : celui de Zelig, improbable homme-caméléon (interprété par Allen lui-même) qui jouit de la faculté d'adapter son apparence physique aux personnes qu'il côtoie.

Tourné quasi-intégralement en noir et blanc, mélangeant astucieusement fausses images d'archives fixes zoomées ou tressautantes (celles où l'on voit Allen et Mia Farrow) et véritables stock-shots d'époque, insérant fausses interviews en couleurs de vrais intellectuels du début des années '80 (Bruno Bettelheim, Saul Bellow et Susan Sontag se sont prêtés au jeu) et fausses chansons d'époque, le travail effectué en amont laisse admirateur.

Le résultat est un film vibrionnant, accompagné par une bande-son dixieland et charleston, à la tonalité délicieusement surannée, totalement anachronique (aussi bien aujourd'hui qu'à l'époque de sa réalisation en 1983) et pour cette raison, intemporel.
Déroutant les premières minutes, on finit par se laisse happer par ce sympathique exercice de style, intelligent, malicieux, subtil, drôle et mélancolique à la fois.

Cinq pièces faciles (Bob Rafelson)

note: 5Sur la route Marcello - 26 janvier 2023

Lorsque la médiocrité a la furieuse tendance à se généraliser et que les productions des films capitalisent principalement sur les super-héros et les effets spéciaux numériques pas beaux, le cinéphile qui souhaite assister à des oeuvres issues des tripes peut se tourner vers les films du passé. Et ça tombe plutôt bien, vu que le catalogue de la médiathèque Filature est très bien fourni !

Laissons tomber un moment les King Kong et Godzilla qui se mettent sur la tronche, remettons notre cerveau et notre coeur à leur juste place.
Tournons-nous vers Bob Rafelson et Jack Nicholson qui - au tout début des années '70, nous ont gratifié d'un des plus délicat film qui soit sur le voyage intérieur d'un homme qui jamais ne se sent à sa place ni parmi les siens, ni au milieu de ceux qu'il a choisi pour vivre son déclassement volontaire. C'est la quête intérieure de cet homme joué par Nicholson qui traverse une portion d'Amérique outrageusement triomphante et consumériste qui n'a (déjà !) plus rien à offrir en termes d'idéaux.
Une oeuvre drôle et amère, sur une génération désabusée qui cherche des réponses par la fuite en avant, au risque de se perdre.

Roar (Noel Marshall)

note: 2La griffe et la dent Marcello - 17 janvier 2023

Modeste réalisation du tout début des années '80 qui n'est restée dans les mémoires des cinéphiles hardcore qu'en raison de conditions de tournage très particulières. C'était l'époque où la présence de félins réels et de leur dresseur était obligatoirement requise sur un plateau de tournage, si vous souhaitiez mettre en scène... des félins.
Soyons honnêtes : vous comprendrez une fois visionné, qu'on ne regarde ce film ni pour son scénario innovant, ni pour la finesse de ses enjeux psychologiques et dramatiques. Si votre curiosité vous pousse toutefois à insérer ce DVD dans votre lecteur, vous pourrez assister à de nombreuses séquences tout bonnement ahurissantes où la distanciation entre lions, tigres et humains avoisine le néant ! Et l'on devine les conditions de tournage (tout simplement inimaginables de nos jours) qu'ont dû endurer les acteurs qui côtoient ces énormes animaux sauvages, car certains coups de pattes et blessures ne sont pas du tout simulés !...
La cinéphilie s'avère être un boulot éreintant, mais il y a parfois des trucs improbables à la clé : après la séquence de catch sous-marin à mains nues entre un figurant-zombie et un véritable requin de "L'enfer des zombies" (si, si, cette séquence existe ! Voyez sur Youtube), il y a la poursuite dans la savane entre des félins surexcités qui balancent avec une agilité démoniaque, leur 200 kg de muscles sur un motard qui slalome entre eux. Voir pour croire.

Le braquage du siècle (Ariel Winograd)

note: 5Un après-midi de chien argentin Marcello - 17 janvier 2023

Si vous aimez les films de braquage alors vous devriez apprécier ce film argentin dont la feuille de route bien huilée coche tous les items attendus de ce genre très codé : suspens, action, dilemmes, astuces et surtout un humour pince-sans-rire qui fait mouche.
Interprété par une sympathique brochette d'acteurs sexagénaires (inconnus dans nos contrées), le spectateur se sent rapidement partie prenante de cette folle équipée grâce à un scénario qui accroche dès les premières minutes, et ce que l'on pourrait de prime abord prendre pour une grosse comédie de bras-cassés, s'avère rapidement une entreprise addictive qui mêle sans faux-pas comédie et action hard-boiled.
Ne vous laissez pas rebuter par l'origine géographique de cette production ou par le fait que les acteurs vous soient inconnus : ce cinéma argentin de pur divertissement n'a rien à envier aux productions policières américaines ou françaises, la détente et le plaisir sont assurés.

Café society (Woody Allen)

note: 5Optez pour un dépaysement orchestré par Woody Allen Marcello - 12 janvier 2023

Les films de Woody Allen s'avèrent souvent être des bijoux de sensibilité, d'humour subtil et de légèreté assumée ; ce "Café society" ne déroge pas à la règle et sa vision s'avère particulièrement exquise.

Dans un Hollywwod de carte-postale très idéalisé de l'entre-deux guerres, Bobby Dorfman débarque à Hollywood, armé de sa provinciale candeur juvénile. Au gré des relations qu'il tisse dans la très superficielle société du show-biz californien, d'un pas hésitant au début, ce dernier va se frayer un chemin à travers la Vie et son cortège d'expériences sentimentales (et le lot de déceptions qui les accompagnent). Tout cela contribuera à le forger mais l'amour, toujours l'amour...

Des personnages qui papillonnent, hésitent et s'interrogent sur l'existence au travers des jeux de l'amour et du hasard, on a vu ça des centaines de fois au cinéma. Mais ici c'est W. Allen aux commandes : le scénario impeccable évite l'écueil de la mièvrerie, l'atmosphère est délicieusement surannée, le fond sonore jazzy du plus bel effet. Tous les acteurs fonctionnent admirablement bien ensemble, des touches d'humour sont distillées tout au long du métrage, on se laisse emporter par cette jolie petite histoire racontée avec panache, et on passe un excellent moment.

Ice Road (Jonathan Hensleigh)

note: 1I scream for Ice road Marcello - 20 octobre 2022

Quand les producteurs ne savent plus quoi pondre, ils piochent dans les (bons) films du passé ; et comme tout le monde les a oubliés, les artisans de ces productions passent pour des petits génies d'inventivité.

Le scénario est identique à ceux du "Salaire de la peur" de Clouzot, ou du "Sorcerer" de Friedkin : des camions doivent parcourir un itinéraire semé d'embuches (ici en un temps limité, là en transportant des matières dangereuses).

Au petit jeu des comparaisons, on notera que les trois films comportent la même séquence à haute teneur en tension : le franchissement d'un pont bancal (ici, filmée à la truelle, là avec un sens aigü de la mise en scène).

Les quelques effets spéciaux numériques se veulent spectaculaires, mais ils sont laids et cheap (à vous faire regretter l'absence totale d'effets spéciaux dans les deux films cités), et puis il y a Liam Neeson qui encaisse les coups et surmonte les difficultés en serrant les dents, comme il le fait à longueur de films depuis "Taken".

Visionnez plutôt les deux métrages dont ce "Ice road" s'inspire (ils font partie du catalogue de la médiathèque Filature, cotes DR CLO et AV FRI) : vous passerez - à mon humble avis - un moment autrement plus qualitatif qu'avec cette production frelatée, vite vue, vite oubliée.
A la rigueur, pour les fans de Liam Neeson - dont je suis parfois (mais là, faut pas pousser !...).

Oeuvre non trouvée

note: 31er tome d'un récit post-apocalyptique Marcello - 17 octobre 2022


Un premier tome qui nous plonge dans l'histoire in medias res : cela commence avec les chasseurs vêtus de combinaisons isolantes, en pleine action dans les rues de la ville déserte et envahie de végétation.

Le déroulé du récit et son découpage sont très cinématographiques puisqu'on nous amène à la présentation de la Tour via le retour de ces derniers, où un "montage parallèle" nous montre les animaux tués immédiatement dépecés tandis que les chasseurs se débarrassent de leurs combinaisons et passent par des douches de désinfection.
La préparation des repas à partir de la viande permet au scénariste d'enchaîner sur les livreurs de nourriture qui font du porte-à-porte dans les différents étages de la Tour et un focus sur l'IA qui gère cette immense construction, puis la présentation d'un échantillon d'habitants et les dissensions entre natifs de la Tour et ceux qui ont connu le monde avant l'épidémie.

Ce tome 1 se termine abruptement, sur un cliffhanger et sur le mode "à suivre...", ce qui s'avère frustrant lorsqu'on ne dispose pas tout de suite du second volume.

Pour les fans de récits post-apo', rien de fondamentalement nouveau, un mix de choses déjà vues ici ou là, mais on a connu bien pire dans le genre et ce premier tome s'avère riche en promesses car les différentes pistes narratives ouvertes ici titillent la curiosité du lecteur qui ne pourra s'empêcher de chercher à lire les tomes suivants.

Ohio (Stephen Markley)

note: 4Roman choral ambitieux sur l'Amérique post-11 septembre Marcello - 12 août 2022

Un roman choral très dense.
A travers presque deux décennies (de 2000 à 2017) et une galerie d'adolescent qui deviennent adultes dans des circonstances particulières (et pas forcément idéales), l'auteur brosse sa vision d'une Amérique "provinciale" qui vit dans sa chair les soubresauts d'une civilisation confrontée aux conséquences des attentats de septembre 2001, son cortège d'existences gâchées par le "va-t-en-guerre" ambiant et la médiocrité de vies plongées dans la paupérisation économique et l'indigence intellectuelle.

J'ai trouvé le procédé narratif ambitieux : de longs chapitres qui épousent les points de vue de quatre personnages qui gravitent dans le microcosme géographique et mental de la même petite ville, avec d'incessants allers-retours passé/présent.

C'est de sa structure narrative à tiroirs que l'auteur tire son épingle du jeu, surprend le lecteur et l'accroche comme le ferait un thriller bien troussé (car en fin de compte, c'est bien d'un roman mainstream qui finit par virer au "whodunit" dont il s'agit).

D'une façon générale, quelle que soit la qualité de l'écriture, le lecteur sait qu'il tient un très bon roman lorsqu'il a l'impression d'avoir vécu avec les personnages fictifs et qu'un soupçon de nostalgie le saisit lorsqu'il termine le livre.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Shorta (Anders Olholm)

note: 4La 6-T a craqué Marcello - 23 juin 2022

Depuis "La haine" (et d'autres réalisations françaises dans son sillage, oubliés depuis), le "film de cités" s'est imposé comme un genre à part entière dans le paysage cinématographique français.
Les succès plus récents qu'ont connu "Bac Nord" et "Les misérables" inspirent cette fois d'autres pays européens, ici en l'occurrence le Danemark.
Dans le cas de "Shorta", et après une intro qui rappelles les tristes événements à l'origine de nos émeutes de 2005, on quitte clairement le propos strictement sociologique pour le film d'action pure et dure.
Le "film de cités" devient un divertissement hard-boiled où les banlieues (ghettos ?) européennes sont désormais les nouveaux territoires urbains hostiles, qui cristallisent inquiétude et peur, génèrent les fantasmes d'insécurité les plus débridés.
Les policiers les plus aguerris passent d'agressions et traquenards en fusillades, poursuites et cascades (4 roues, 2 roues et piétonnes) où tout devient cinégénique.
Le film reste rudement efficace malgré quelques longueurs, on devine parfois l'étroitesse du budget (peu de figurants là où il devrait y avoir foule), le film patine un peu vers les 3/4, la psychologie des policiers ou celle de quelques habitants est rapidement brossée pour justifier une course-poursuite labyrinthique d'1h30, mais l'action et le "divertissement" sont là.
Les américains avaient leur Far-West totalement mythique, l'Europe a désormais le sien, tout autant fantasmé.

Le Choix de Sophie (Alan J. Pakula)

note: 3Les choix de Sophie Marcello - 7 juin 2022

Cela débute comme une légère romance de ménage à trois, façon "Jules et Jim" dans l'Amérique de l'immédiat après-guerre (quelques clins d'oeil au film de Truffaut, ainsi qu'aux "400 coups" y sont perceptibles). Et puis progressivement, le film adopte une tonalité plus grave puisqu'il évoque le terrible sentiment de culpabilité des survivants des camps nazis.

Le film est long et en fonction de votre seuil de tolérance (si vous le regardez en VO), vous trouverez peut-être que Meryl Streep et Kevin Kline surjouent à l'excès (elle dans l'accent slave prononcé, lui dans son rôle de personnage fantasque).
Cette façon de diriger les acteurs a un peu vieilli, les longues plages dialoguées donnent l'impression d'assister à une pièce de théâtre filmée. Mais ce sont là ses moindres défauts : des fulgurances de mise en scène (le monologue de M. Streep filmé en regard caméra est tout bonnement hypnotisant) et le tragique universel du récit prennent le dessus, si bien que le spectateur se laisse emporter par cette histoire, submergé par l'émotion.
La simple histoire d'amour et d'amitié est transcendée par l'universalité tragique d'une destinée dévastée par l'Histoire.

Un beau personnage de femme magistralement interprété, où l'on réalise que Meryl Streep a été l'une des plus grandes actrices du cinéma américain des années '70 et '80. Rien que pour cela, et malgré ses petits défauts, ce film mérite d'être vu.



Le canardeur (Michael Cimino)

note: 5Thunderbolt et Lightfoot Marcello - 3 juin 2022

Une histoire d'amitié virile entre deux losers sympathiques (interprétés par Clint Eastwood et Jeff Bridges), et leurs diverses rencontres sur les routes américaines, et aussi la préparation d'un braquage hors-normes dans la seconde partie du film.
Récit picaresque vivifiant, qui synthétise à la perfection road-movie, buddy-movie et film de braquage teinté de comédie.
Le soin apporté à la caractérisation des personnages principaux parvient à rendre la première partie du film encore plus intéressante que la préparation et la réalisation du braquage lui-même.
Le goût prononcé de Michael Cimino pour les paysages de l'Amérique profonde dans lesquels s'ébrouent les personnages (à pied, en courant, en voiture volée, en autostop), son travail sur la composition du cadre et les échelles de plans, la multiplication des situations rocambolesques, tout contribue à donner au spectateur une sensation de folle liberté, d'affranchissement des normes sociales.
Regardez bien ce film car il est précieux : on ne voit plus depuis longtemps (et on ne verra plus) d'oeuvres grand public d'une telle qualité ; parce que divertir le spectateur ne veut pas forcément dire laisser son cerveau en rade, ce qu'ont tendance à oublier les faiseurs d'aujourd'hui.
La récente remastérisation par l'éditeur Carlotta rend justice au cinémascope et à la magnifique photographie qui emballent cette histoire émouvante et divertissante à la fois.

Frances (Graeme Clifford)

note: 5L'erreur de Farmer Marcello - 16 mai 2022

Tout a été oublié de ce film : son existence, celle de la starlette éponyme et aussi l'actrice qui l'interprète avec une puissance rare.
La réédition en version restaurée dans la collection de Jean-Baptiste Thoret corrige le tir, nous offrant l'occasion de découvrir une oeuvre non pas "majeure", mais sincère, touchante, grave et romantique à la fois.

Il s'agit d'un émouvant drame biographique réalisé au début des années 80 ("biopic" que ça s'appellerait de nos jours...) que la présence de Jessica Lange irradie de bout en bout. On y sent l'actrice principale totalement habitée par le rôle (les bonus nous apprennent qu'elle s'est énormément investie dans la mise en chantier du film).

L'histoire vraie de Frances Farmer, starlette hollywoodienne des années 30 qui s'est élevée contre le star-système tel qu'il sévissait à cette époque dans ce milieu très codifié (avec tout ce que cela suppose de misogynie, machisme et d'écrasement de l'individu). Elle l'a fait à ses dépends puisque l'industrie cinématographique lui a fait payer très cher sa rébellion (au demeurant légitime).
C'est ce que décrit ce film que l'on pourra trouver parfois manichéen, porté par une belle brochette d'acteurs, une photographie chatoyante typique de ce qui se faisait dans les années '80 (et qui sied parfaitement à cette reconstitution discrète et soignée des années '30 américaines), sans oublier la bouleversante musique de John Barry.

J'ai tué le soleil (Winshluss)

note: 4Psycho-post-apocalypse Marcello - 1 octobre 2021

Personnage solitaire et introverti, parvenu à ce qui semble être le point de rupture de sa psychose, "Karl" a une vision du monde bien à lui, c'est-à-dire dangereusement paranoïaque. Son délire purificateur le submerge tant et si bien qu'il ne s'aperçoit pas du basculement du monde dans ce que le lecteur devine être une sorte de super-virus. Et le chaos extérieur et généralisé de se faire l'écho du désordre intérieur de Karl, dans un jeu de miroir narratif très habile que déroule un récit survivaliste violent, habilement antéchronologique.
Sur un sujet post-apocalyptique archi-rebattu, l'auteur parvient à bâtir une histoire qui sort des ornières habituelles (ne serait-ce que par l'absence des sempiternels zombies et autres infectés).
Une bande dessinée foncièrement originale tant sur le fond que sur la forme, grâce à un dessin quasi monochrome et constitué de ce qui m'a plutôt fait penser à des croquis pris sur le vif.
Très réussi.
[Avis déjà publié sur Babelio]

La fin de l'homme rouge ou Le temps du désenchantement (Svetlana Aleksandrovna Aleksievič)

note: 5Oeuvre somme Marcello - 8 septembre 2021

Voici un livre qui donne la parole à celles et ceux que les livres d'Histoire ne considèrent généralement que comme une masse indistincte ; les anonymes, les petites-gens qui ont fait et vécu la période communiste et post-communiste, dans leur chair et dans leurs coeurs pour la plupart, ceux pour lesquels le Communisme était la foi en toutes choses et la principale raison de vivre.

Ce que ce livre nous fait saisir avec émotion et effroi : l'idéologie communiste - comme toutes les autres et comme toujours - parce qu'elle n'a finalement été l'outil que d'un petit nombre de détenteurs du pouvoir, ne s'est pas privée de malmener jusqu'à la persécution, la folie et la mort ceux-là même qu'elle prétendait servir.

Un outil de travail et de réflexion qui offre au lecteur des témoignages bruts et sincères (même lorsqu'ils proviennent des persécuteurs) d'une époque bouillonnante qui a été à la fois épouvantable et pleine d'espérances

Un livre magistral et émouvant, résultat d'un impressionnant travail de compilation ; un livre qui a toute sa place dans le domaine de la littérature car le lissage des témoignages, la sélection dont ils ont certainement fait l'objet par l'auteure lui confèrent non seulement une grande fluidité de lecture, mais aussi une indéniable portée épique, digne d'une vaste fresque historique.
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Possession (Andrzej Zulawski)

note: 5Laissez-vous posséder par la folie furieuse de "Possession" Marcello - 26 août 2021

(Re)voyez ce film que l'éditeur "Le Chat qui fume" édite en France dans une splendide version restaurée qui rend justice à cette oeuvre un peu oubliée, voire méconnue.

Histoire d'amour et de folie à nulle autre pareille, "opera furiosa" paroxystique signée par un cinéaste d'une trempe inégalée.
Désacralise le motif classique de la rupture conjugale sous le signe de Thanatos, à travers le prisme de l'allégorie (les deux Allemagne scindées par le Mur de Berlin à l'image du couple qui se déchire) et de la monstruosité, du jeu magnifiquement et douloureusement hystérique d'Isabelle Adjani.

Une oeuvre dont la vision peut certes vous laisser essoufflé, essoré, lessivé mais avec la certitude d'avoir assisté à quelque chose d'unique dans le cinéma.

Merci à la médiathèque de la Filature pour cette acquisition audacieuse !

De la démocratie en pandémie (Barbara Stiegler)

note: 5Collection "Tracts" d'utilité publique Marcello - 26 août 2021

La lecture de ce tract s'impose à tout citoyen éclairé soucieux de ce que ses dirigeants décident en son nom, surtout lorsque les mesures prisent rognent allègrement sur notre marge de manoeuvre en termes de Liberté(s).

On sait extrêmement gré à Mme Stiegler d'avoir clairement synthétisé - en collaboration avec un collectif universitaire - ce que l'on subodore depuis un petit moment : à savoir, les miasmes pas très nets et pas très démocratiques d'une politique et sociétale dévoyées qui font de la pandémie de Covid 19, une "créature" à dos très large qui sert à justifier l'injustifiable.
Très recommandable lecture en ces temps où tout un pan de la culture et du débat démocratique sont relégués au second plan pour favoriser l'installation d'un obscurantisme néolibéral inquiétant au prétexte des mesures "sanitaires" finalement pas si "salutaires" pour la démocratie de nos pays occidentaux.
Ne vous laissez pas rebuter par l'aspect austère de cette collection qui est très accessible.
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Grizzly (Nan Aurousseau)

note: 4Dernier thriller en date publié par N. Aurousseau Marcello - 26 août 2021

Par un auteur français qui a fait ses preuves dans le genre (mais - à mon sens - un petit cran en-dessous de son très efficace "Des coccinelles dans des noyaux de cerises"), un bon petit thriller sans autre prétention que celle de divertir avec juste ce qu'il faut de rythme pour maintenir en haleine le lecteur jusqu'à la dernière page.
Aurousseau livre un récit minimaliste qui se déroule aux Etats-Unis et nous plonge in medias res au coeur de la catastrophe qui va décider du sort de l'ensemble des personnages : unité de lieu confiné qui vire claustrophobe, décrit l'enfermement de quelques personnages et de leurs dérives mentales.
Efficace, dégraissé, idéal pour une lecture estivale.
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Bienvenue à Sturkeyville (Bob Leman)

note: 4Nouvelles fantastiques d'inspiration lovecraftienne Marcello - 30 avril 2021

Un recueil de nouvelles d'une grande qualité, à bien des égards !
J'avais déjà eu de bons échos concernant l'unique recueil de cet auteur ; la lecture est venue confirmer ces rumeurs.

Une foule de références me sont venues à l'esprit au cours de cette lecture : on est clairement et majoritairement face à des récits fantastiques d'inspiration Lovecraftienne (de très nombreux hommages, clins d'oeil et allusions à son univers fictionnel peuvent être saisis ici ou là par le lecteur averti et attentif).
On y retrouve aussi certaines atmosphères que Stephen King savait instaurer dans ses écrits de la fin des années '70 comme "Salem" ou les nouvelles - elles aussi d'inspiration Lovecraftienne - telles que "Celui qui garde le ver" et "Un dernier pour la route" de "Danse macabre".

Heureusement, le talent de Bob Leman ne se limite pas aux hommages et clins d'oeil : il développe à travers ces nouvelles, un univers solide et cohérent.
Son style est magistralement rendu par une traduction de qualité, le tout agrémenté de quelques discrètes illustrations en noir et blanc.

Clochemerle (Gabriel Chevallier)

note: 5Oeuvre satirique intemporelle Marcello - 8 mars 2021

A cause de la construction d'une pissotière jugée par certains trop proche de l'église, c'est tout un petit village qui implose sous l'oeil impitoyable et la prose délicieusement vitriolée de l'auteur.
Armée, religion, croyants, hommes politiques, administration, bourgeoisie, aristocratie : personne n'est épargné et Gabriel Chevallier porte à son plus haut niveau la satire sociale.

On se régale de ces petites et grandes mesquineries humaines, de cette bienpensance hypocrite décortiquées avec un mordant jubilatoire : commérages de villageois et voisins bouffés par l'envie et la jalousie, manoeuvres politiciennes puantes d'opportunisme, alliances intéressées, étalage de petitesses humaines, comportements peu glorieux de ses semblables, l'auteur n'oublie rien de ce qui fait les petits travers humains les plus détestables.
La chronique est féroce, le sarcasme est élevé au rang d'art, Gabriel Chevallier fait payer à la caste des décideurs politiques sa jeunesse bousillée dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale.
Sa plume est aussi tranchante qu'un couperet, son humour caustique est salutaire et le rire est maintenu sur les 300 pages qui composent ce roman.

On tient là une charge satirique comme j'en ai rarement eu entre mes mains de lecteur !

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Agostino (Alberto Moravia)

note: 4L'écriture élégante de Moravia Marcello - 18 septembre 2020

Le jeune Agostino éprouve un amour équivoque à l'égard de sa mère, une belle veuve encore jeune.
Dans une atmosphère estivale étouffante, suspendu entre enfance et adolescence, le protagoniste fait la connaissance d'une bande de jeunes garçons désinhibés, d'un milieu social opposé au sien ; ces fréquentations vont le confronter à ses pulsions adolescentes, entre attraction et répulsion : la perte de l'innocence est toute proche, qui se cache derrière la porte du péché, désormais entrouverte.
Moravia déroule un récit raffiné, élégant, pour décrire la confrontation d'un esprit candide avec Eros et Thanatos.
Le questionnement, le feu intérieur du personnage confronté à ce qu'il ne connaît pas encore, sont décrits avec une belle économie de moyens, dans un récit aux échos Oedipiens que la légèreté de l'écriture restitue sans sombrer dans la caricature.
Une lecture troublante.
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Un ciel rouge, le matin (Paul Lynch)

note: 5La découverte d'un auteur remarquable Marcello - 18 septembre 2020

Une agréable découverte littéraire un peu hors du temps, l'auteur impose un style et une langue très travaillés pour décrire l'univers âpre, cruel, violent de l'Irlande de la fin du XIXe siècle.
J'ai notamment apprécié les descriptions lyriques de la nature environnante (ciel, terre, vent, pluie, chaleur ou froid, levers et couchers de soleil) qui participent d'une atmosphère très particulière dans laquelle évoluent les personnages, dont les destinées tragiques semblent intimement liées aux phénomènes naturels, les paysages comme partie prenante de l'action.
Le récit déploie toute sa flamboyante noirceur au fil des 300 pages de ce beau roman qui prend la tournure d'une implacable chasse à l'homme jusqu'au final digne d'une tragédie antique.
Un auteur dont je lirai très certainement les oeuvres suivantes.
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Le facteur sonne toujours deux fois (James Mallahan Cain)

note: 4A lire au moins une fois (selon votre facteur temps...) Marcello - 18 septembre 2020

Un roman légendaire dont tout fan de récits policier/noir connaît au moins le titre, même lorsqu'il ne l'a pas lu.

C'est de la littérature sans fioritures, presque de la littérature "de gare", car le style ne semble pas être la principale préoccupation de son auteur. Mais qu'importe, l'efficacité est toujours là malgré les décennies qui nous séparent de la date de rédaction du roman.

J'ai été surpris de voir "expédiées" très tôt dans l'intrigue, la constitution du couple adultérin puis les diverses machinations qui aboutissent au meurtre concerté du mari par les deux amants.
La partie qui se déroule au procès est plutôt ennuyeuse et j'ai eu du mal à comprendre les magouilles juridiques mises en place par la défense des meurtriers pour en tirer tout le bénéfice.

La dernière partie du roman m'a quant à elle beaucoup fait penser au "Thérèse Raquin" de Zola car une grande place est laissée à la description du sentiment de culpabilité qui habite Frank et aussi parce qu'il y est question de chats (les lecteurs de l'opus de Zola comprendront).

On comprend que la légèreté extrême des amants ait pu choquer à l'époque (les sous-entendus sexuels étant assez nombreux) et c'est pourquoi - je pense, le récit est toujours efficace aux yeux du lecteur d'aujourd'hui.

Le roman offre l'avantage d'être très court et reste toutefois une sorte de passage obligé de la littérature noire mondiale.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Tu n'as jamais été vraiment là (Jonathan Ames)

note: 4Thriller urbain dégraissé et nerveux Marcello - 18 septembre 2020

Le récit simple d'une exfiltration se déroulant dans les coulisses de l'univers interlope de l'esclavage sexuel.
Un personnage principal qui n'a rien d'un prince charmant ou d'un héros qui véhiculerait une quelconque morale vertueuse.
Joe est un bloc de sang-froid apparent dont le mutisme laisse deviner une violence prête à se déverser pour assurer sa survie.
Les rues nocturnes de New York vues comme un biotope dans lequel se coule et se déplace ce personnage, silhouette inquiétante et vengeresse.
Un point de vue très binaire et paranoïaque sur un monde chaotique à travers le regard complètement désenchanté d'un ancien combattant revenu d'Irak, l'âme pleine de plaies encore purulentes.
Un modeste polar urbain sec, noir, dégraissé (à peine 80 pages), très efficace et qui m'a beaucoup fait penser aux "héros" borderline d'un certain cinéma américain des années '70.
[Avis déjà publié sur Babelio]

T'as vu le plan ? (François Theurel)

note: 4Au plan près Marcello - 29 janvier 2020

Un beau et gros livre qui devrait ravir les cinéphiles.
L'auteur part du plan d'un film à partir duquel il analyse la syntaxe filmique, la composition et/ou la portée universelle ou personnelle que revêt le plan au sein du métrage dont il est issu, aussi bien dans l'histoire du cinéma que dans son histoire personnelle de cinéphage passionné.
L'humour n'en est pas exclu sans que la pertinence de l'analyse soit négligée.
Bien que le format de présentation pourrait laisser croire à un livre grand public, je pense néanmoins que cette lecture n'intéressera prioritairement que les fous de ciné.
Le contenu, la subjectivité du choix de plans, la grande diversité des genres présents en font - à mon sens - un livre de cinéphile pour cinéphiles.
Je conseille en outre aux fans de cinéma, les chroniques de l'auteur sur Youtube : elles sont d'une belle finesse et d'une grande acuité, notamment dans les genres fantastique, science-fiction mais également de grands classiques ou de films mineurs injustement tombés dans l'oubli.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Le diable, tout le temps (Donald Ray Pollock)

note: 5Meet D. R. Pollock Marcello - 4 juin 2019

Cinq étoiles sans hésitation !
Une ahurissante galerie de personnages aussi timbrés et écoeurants qu'ils s'avèrent attachants (joli tour de force de l'auteur !), qui virevoltent et s'entrecroisent toujours pour le pire tout au long d'un récit qui s'étale sur deux décennies. Un road movie d'une surprenante originalité, où l'on croise un inquiétant échantillon d'humanité qui barbote dans une fange morale rarement vue dans un roman noir.
Amateurs de récits propres sur eux, passez votre chemin ! Bienvenue dans un univers littéraire où l'axe de rotation terrestre part totalement en sucette, un monde dans lequel s'ébrouent les plus affreux, sales et méchants que la création littéraire ait jamais engendrés !
[Avis précédemment publié sur Babelio]

Simetierre (Stephen King)

note: 3Momies en folie Marcello - 2 mai 2019

Un vrai récit de pure épouvante qui a marqué des générations de lecteurs de Stephen King.
Écrit à une époque où l'auteur ne s'embarrassait pas pour faire passer de vie à trépas, la quasi intégralité du "casting" de son roman.
King travaille ici ce qui constitue le sous-texte de tout récit d'épouvante qui se respecte : peur de la mort, et notamment la crainte de perdre ceux qui nous sont chers.
Avec un sens de la synthèse efficace, il décuple cette glaise thématique matricielle en y incorporant les thèmes du mort-vivant, des malédictions, de l'influence néfaste d'un lieu maléfique, il y adjoint une dose d'histoire américaine (le cimetière des indiens), saupoudre d'un hommage au "Magicien d'Oz" (ici comme entrevu à travers un miroir déformant) et rend un subtil hommage aux mythes lovecraftiens, le tout sans être bourratif.
Personnages principaux (et lecteurs) sont malmenés par une approche très frontale, ce qui confère à ce roman très sombre, un aspect âpre d'une belle efficacité.
Il s'agit du roman le plus désespéré de l'auteur.
Dommage que King ne soit pas un auteur qui écrive avec style : cela aurait conféré à ce roman une plus-value qu'en l'état il n'a pas.
Néanmoins, un récit qui maintient du début à la fin, une efficace courbe de terreur ascendante qui plonge ses personnages dans une inéluctable spirale (figure tutélaire des deux cimetières) de folie et de malheur.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Hérédité (Ari Aster)

note: 4Quand le cinéma de terreur nous offre de la qualité Marcello - 10 avril 2019

La cellule familiale est au centre de ce film de terreur psychologique qui renoue avec des classiques de l'épouvante tels que "Shining", "L'exorciste" ou "Rosemary's baby", dans lesquels la famille nucléaire américaine malmenée par le Malin constitue le principal ressort dramatique.
Le réalisateur - dont c'est le premier film - élabore son histoire avec soin, caractérise avec une attention particulière tous les personnages et tisse patiemment une terrifiante toile dans laquelle tout le monde finira englué (le spectateur y compris).
Une angoisse sourde est distillée au fur et à mesure du déroulement du film grâce à un scénario à tiroirs très travaillé (il faut presque voir ce film deux fois pour en saisir toute l'admirable complexité).
Les amateurs de films tape-à-l'oeil bourrés d'effets spéciaux numériques risquent de le trouver long et ennuyeux ; si en revanche vous êtes un spectateur exigeant qui aime les histoires bien filmées et interprétées, qui n'aime pas être pris pour un idiot, vous serez comblé.
L'art de la "flippe" à son sommet !

Helena (Jérémy Fel)

note: 3Qui est Helena ? Marcello - 19 décembre 2018

Après "Les loups à leur porte", ce second roman "Helena" impose Jérémy Fel comme une nouvelle figure de la littérature française contemporaine qui mêle roman mainstream et polar psychologique teinté de fantastique.
"Helena" constitue une sorte de dyptique avec son premier roman, les deux oeuvres se font écho mais peuvent se lire indépendamment l'une de l'autre.
Fel travaille la figure d'un Mal, qui n'est pas une donnée morale ou religieuse, mais plutôt un fil directeur, une notion qui se transmet comme une malédiction ou une maladie virale qui surgit alors que ses personnages se retrouvent confrontés à des situations paroxystiques auxquelles les réponses apportées vont conduire à une succession de catastrophes.
On peut le trouver long (un peu plus de 700 pages tout de même), même si le récit alterne phases trépidantes et plages descriptives sans style particulier.
L'atmosphère qui se dégage de l'ensemble reste inquiétante et dégage même un rythme hypnotique. L'auteur est en devenir et se cherche encore un peu. La cohérence de son oeuvre reste à étayer avec des écrits futurs.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Vivre ensemble (Anna Karina)

note: 4La première réalisation de l'actrice Anna Karina Marcello - 19 décembre 2018

Une jolie chronique sentimentale tournée au tout début des années '70 et bien ancrée dans son époque.
L'évocation est sans fioritures, le film évite l'écueil de la bluette insipide même si on y retrouve certains "poncifs" d'une génération très marquée par l'après-'68.
Anna Karina, l'égérie de Jean-Luc Godard, réalise là son premier film et interprète le rôle principal. Son film et son interprétation dégagent une certaine énergie jusqu'au final dramatique où l'on assiste à un inversement inattendu des rôles de départ.
Une curiosité un peu oubliée du cinéma français engagé, qui bénéficie d'une très belle remastérisation dans son édition blu-ray.
Les bonus incluent une longue interview d'Anna Karina réalisée à l'occasion de cette ressortie.

Dans les bois (Emily Carroll)

note: 3Contes de Grimm et Andersen à la sauce dark et comics Marcello - 22 novembre 2018

Emily Carroll effectue dans cet album, une relecture audacieuse des contes de Grimm et leur offre un traitement narratif plus "dans l'air du temps", plus "dark".
Le lecteur adulte y retrouvera des allusions au petit chaperon rouge, Hansel et Gretel, la femme de Barbe Bleue.
L'auteure croise ces influences avec l'esprit des comics d'horreur américains des années '50 et il faut reconnaître que toutes ces sources sont bien digérées.
La forme surtout n'est pas en reste, avec un dessin presque naïf, expressionniste dont le style varie imperceptiblement d'une histoire à l'autre, mais la facture est originale.
J'ai tout de même eu un peu de mal à entrer dans les histoires, car le dessin précisément n'est pas tout à fait à mon goût, mais il faut reconnaître que l'auteure a son propre style.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Des coccinelles dans des noyaux de cerise (Nan Aurousseau)

note: 4Du noir à la française qui n'a rien à envier aux américains Marcello - 21 septembre 2018

Un solide roman noir au titre si poétique qu'il est difficile d'imaginer qu'il recèle un tel final de violence barbare et paroxystique.
C'est diablement efficace, dégraissé à souhait, sans fioritures si ce n'est ce style familier et gouleyant déjà à l'oeuvre dans son roman autobiographique "Quartier charogne" et qui réserve une touche d'humour plutôt bienvenue.
Le récit démarre en douceur, on nous donne à découvrir progressivement le personnage principal un peu falot... mais qui cache bien son jeu.
Un vrai bon roman noir à la française qui se lit d'une traite et qui en remontre à bien d'autres écrivains du même genre, plus connus que lui. Une découverte surprenante en ce qui me concerne.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Si un inconnu vous aborde (Laura Kasischke)

note: 3Fantastique social et psychologique Marcello - 21 septembre 2018

Des nouvelles placées sous le signe de l'étrange, d'une forme de fantastique social et psychologique très travaillé (et qui peut sembler parfois très hermétique).
On n'est ni chez S. King, ni chez Lovecraft ou Poe, et le style pourra déstabiliser (voire rebuter) le lecteur habitué à un fantastique plus grand public et "commercial".
J'ai parfois pensé à Dennis Etchison, un auteur américain dont les nouvelles fantastiques se rapprochent le plus - à mon avis - des écrits de Kasischke.
L'ancrage hyper contemporain de toutes ces nouvelles dénote un questionnement sur l'identité, la relation à autrui, la perception de la famille, du réel, du quotidien, de l'équilibre mental de l'Homme moderne, un peu comme si le Freud de la fin du XIXe siècle interrogeait l'inquiétante étrangeté des modes de vie occidentaux du XXIe siècle.
Un malaise constant émane à la lecture de toutes ces histoires qui décrivent de façon originale et désarçonnante, la rupture inexorable du vernis de "normalité", provoquant ainsi un fort sentiment de malaise chez le lecteur.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Comme des rats morts (Benedek Totth)

note: 1Hongrie... sa dernière cartouche Marcello - 14 septembre 2018

Un premier roman d'origine hongroise, un éditeur notoire et sa collection noire comme des invitations à la découverte d'un choc littéraire.
La promesse d'un joyau noir mettant en scène une jeunesse désoeuvrėe qui noie son apathie dans des pratiques mortifères m'avait beaucoup attiré. Malheureusement pour moi, cela s'est révélé être une grosse déception.
Le récit se délite au fur et à mesure de son déroulement, et l'intérêt du lecteur finit par battre la campagne.
Aucune énergie ne se dégage de l'écriture, le nihilisme comme philosophie de vie tourne à vide car les personnages et les péripéties s'avèrent creux. Si encore il y avait eu une forme d'humour salutaire, mais ça n'est même pas le cas.
J'aurais tellement aimé apprécier ce roman...
Autant relire du Bret Easton Ellis qui excelle dans la description d'une jeunesse désoeuvrée.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Oeuvre non trouvée

note: 4Drame dans la France pavillonnaire Marcello - 14 septembre 2018

Un surprenant roman noir avec du coeur et des tripes !
Un style épuré au service d'un solide récit plein de rage et de désespoir (bon, j'exagère : il y a tout de même une petite lueur d'espoir).
Tout y est : atmosphère suffocante d'été, arrière-plan social façon France classe-moyenne option beaufs, drame familial qui débouche sur un acte crapuleux, galerie de personnages pétris de mesquinerie mais néanmoins attachants.

Ouvrez ce livre et vous serez aimantés jusqu'à la dernière page : Marion Brunet est une auteure dont il convient dorénavant de surveiller les prochains écrits pour adultes !
[Avis déjà publié sur Babelio]

Comment lutter efficacement contre l'idéologie islamiste (Chahdortt Djavann)

note: 4Pavé dans la mare... passé inaperçu au pays de la tolérance et de l'égalité... Marcello - 14 septembre 2018

Voilà un livre qui est écrit par une femme courageuse, qui sait de quoi elle parle, qu'on ne pourra pas accuser d'être "islamophobe primaire" et qui évoque ce que d'autres expriment soit de façon timorée, soit de façon fascisante.
Le juste milieu est donc trouvé ici - à mon sens.
Pas de complotisme alarmiste : l'auteure en appelle à la vigilance des démocraties occidentales sur la trop grande bienveillance dont elles font preuve à l'égard d'un totalitarisme sournois qui effectue son travail de sape depuis le début des années '80 ("Les islamistes ont retourné les avantages de la démocratie contre la démocratie").
Son plaidoyer est étayé, sans langue de bois : pas d'acrimonie, mais un appel à la vigilance et une fermeté sans failles avec ceux qui jouent de ce sourd sentiment de culpabilité post-colonialiste pour nous faire céder sur nos principes fondateurs.
Un livre nécessaire, courageux (n'en déplaise aux tenants du "politiquement correct"), parce qu'il ne nous faut pas transiger avec l'obscurantisme qui se fait passer pour victime afin de coloniser nos mentalités.
[Avis déjà publié sur Babelio]

Post mortem (Pierre Maurel)

note: 3Pas de gaudriole pour les morts-vivants Marcello - 9 mai 2018

Une BD dont le sujet est - une fois encore - la description d'une société moderne confrontée à son délitement.
L'idée de départ éveille la curiosité du fantasticophile : les progrès médicaux permettent de ressusciter les morts, mais l'économie ultralibérale a tôt fait de dévoyer cette découverte et trouver à ces derniers une "utilité sociale", à savoir occuper des postes pour des tâches que les vivants ne souhaitent plus exécuter (sans contre-partie financière, ni droit du travail).
Politique du bouc-émissaire, création d'une "sous sous-classe" prolétaire, ghettoïsation, ostracisme, scission de la société entre les pour et les contre, etc...
Le thème du mort-vivant retrouve ici le sens métaphorique qu'il avait du temps du vaudou et en ce sens, il s'agit d'une BD anti-spectaculaire que le fan de zombies n'appréciera pas forcément (pas de dévoreurs de chair humaine, ni d'humains affrontant des hordes de morts-vivants agressifs).
Le mort-vivant comme allégorie de la lutte des classes, en somme.
L'un des points forts, c'est que le récit est amené délicatement, sous forme d'allusions distillées tout au long du récit.
Son point faible (à mon sens) : une fin qui laisse le lecteur sur sa faim, un peu comme si l'auteur n'avait pas su comment terminer ce récit ambitieux.

A la folie (Sylvain Ricard)

note: 3Sobriété des violences conjugales dessinées Marcello - 9 mai 2018

Une facture très sobre (noir et blanc) pour traiter du phénomène des violences conjugales sur un mode plutôt âpre, parfois très cru, et sans fioritures (ou presque, puisque l'auteur a choisi de représenter les personnages avec des têtes d'animaux).

Les liaisons chronologiques entre les diverses époques de cette histoire de couple banal sont originales : des vignettes montrent le binôme assis sur un divan, face au lecteur et s'adressant à lui, alors que le conjoint pourtant installé juste à ses côtés n'entend pas ce que l'autre lui reproche.
J'y ai vu pour ma part un détournement d'un procédé déjà utilisé dans la comédie romantique "Quand Harry rencontre Sally", sauf qu'ici, ce dispositif n'a pas recours aux ressorts humoristiques dont il s'inspire (une façon d'illustrer un stade d'incommunicabilité pour ce couple qui s'est pourtant marié par amour ?...).

Une BD à ne pas lire les jours de blues.

Le grand roman des maths (Mickaël Launay)

note: 5Excellent ouvrage d'histoire des mathématiques pour non spécialistes Marcello - 9 mai 2018

Ce sympathique petit livre est un condensé de culture générale mené tambour battant par son auteur qui cherche à mettre à la portée du plus grand nombre, l'histoire de l'évolution des mathématiques à travers les différentes civilisations et époques.

Mickaël Launay démontre avec une verve communicative, que les mathématiques ne se limitent pas à cette horrible discipline scolaire dont certain d'entre nous ont gardé un cuisant souvenir et rien que pour ça, son livre est d'utilité publique !

En gros : "les maths, c'est la vie" car on nous présente le défi nécessaire qu'a représenté leur conquête et structuration par les êtres humains qui en avaient besoin dans leur quotidien.

C'est une lecture passionnante de bout en bout, que l'on dévore littéralement (même si l'on est allergique au sujet... ce qui est mon cas !).
Et l'on se surprend à aller visionner les vidéos que l'auteur met en ligne sur son compte YouTube afin d'approfondir des notions scientifiques car monsieur Launay est un excellent pédagogue, passionné par ce qu'il enseigne.

Pas mon genre ! (Yatuu)

note: 5Désopilante BD sur les clichés de genre Marcello - 9 mai 2018

Il y avait longtemps qu'une bande dessinée ne m'avait pas autant fait rire !
Rien qu'en regardant la vignette qui illustre la 4e de couverture, on est dans l'ambiance et toute la BD est à l'avenant.
La jeune dessinatrice croque avec un solide sens de l'humour la perception du genre.
Elle pioche dans sa jeunesse et son adolescence de fillette pas comme toutes les autres et nous offre au passage, des pages désopilantes où les clichés éculés sont passés au crible de la satire.
Le trait est simple, les planches alternent court récit de 2 ou 3 pages, pleines pages uniques, majoritairement en noir et blanc ou très peu de couleurs.
Les situations évoqueront forcément quelque chose à tous les lecteurs, filles comme garçons.
Je tire mon chapeau à la jeune Yatuu et n'hésite pas une seconde à la comparer à notre grand Reiser !
Ca donne envie de lire ses autres publications.

Satan (Lionel Obadia)

note: Quand les éditeurs font des économies de relecteurs-correcteurs... Marcello - 5 avril 2018

Dommage que cet ouvrage soit caviardé de fautes d'orthographe, de syntaxe et de grammaire quasiment à chaque paragraphe ! Manifestement, ce gros éditeur qu'est Ellipses fait l'économie de relecteurs-correcteurs et c'est fort regrettable...
Pour ce qui est du fond, le propos est de niveau universitaire ; il nécessite de la part du lecteur, certaines connaissances préalables en histoire, histoire des religions et des mentalités mais la difficulté n'est pas insurmontable.
A noter qu'il ne s'agit pas non plus du LIVRE définitif sur le sujet.
Je ne mets aucune étoile parce qu'à ce stade de laisser-aller syntaxique, c'est du jamais vu !

Brimstone (Martin Koolhoven)

note: 2Western sado-maso Marcello - 27 mars 2018

Un curieux western mâtiné de fantastique où le cinéphile averti reconnaîtra clairement les influences de "La nuit du chasseur" (pour le prédicateur psychotique revanchard et tenace) et "Le cavalier solitaire" (où Clint Eastwood interprétait un cow boy solitaire revenu d'entre les morts pour se venger).
Mais au-delà de ces hommages appuyés et plus ou moins bien digérés et régurgités, subsiste un film trop long qui se complait souvent dans une lourde démonstration de l'abjection morale et physique.
Guy Pearce en fait parfois des tonnes et le final bisounours avec son méchant en manque d'affection et d'amour vous laisse à mi-chemin entre l'incrédulité et le fou rire.
En fonction de votre humeur, vous y verrez soit une curiosité filmique déviante et paroxystique avec quelques gunfights mous ou... une boursouflure qui balaie tout le spectre de la mystique WASP à la sauce hollywood.

Le peuple des abattoirs (Olivia Mokiejewski)

note: 4Abattage de chairs Marcello - 19 janvier 2018

Ce livre est le résultat d'une immersion journaliste dans le milieu des ouvriers qui travaillent dans nos abattoirs français.
Ce qui intéresse l'auteure, ce sont les conditions de travail de celles et ceux qui oeuvrent parfois de longues années et souvent au détriment de leur santé, dans les usines qui fournissent la viande que l'on retrouve sur les étals de nos boucheries et supermarchés.
La condition animale n'est quant à elle pas occultée et son traitement dans le livre occupe une place secondaire bien qu'organiquement reliée aux conditions de travail des ouvriers.
Et l'on s'aperçoit, en 2017, qu'il s'agit d'un des secteurs industriels autour desquels gravitent encore et toujours une certaine forme de gêne, d'omertà, de tabou, de silence gêné... ce qui est à mon sens la preuve que quelque chose ne va pas concernant la façon dont nos sociétés produisent les viandes animales qui nourrissent les consommateurs.
Ce modèle industriel et économique n'a quasiment pas changé depuis l'après-guerre.
Un des mérites de ce livre est qu'il secoue nos consciences en nous apprenant ce que supposent de concessions à certaines valeurs morales et éthiques, les rythmes effrenés de productivité industrielle actuelle, qui augmentent de décennies en décennies, au détriment des animaux, des ouvriers des abattoirs et des consommateurs (les seuls à sortir gagnant dans cette histoire, étant toujours les mêmes...).
[Avis publié sur Babelio]

La fracture (Gilles Kepel)

note: 4Fracture française Marcello - 19 janvier 2018

La fracture du titre fait allusion à ce gouffre au bord duquel se trouve la France depuis la montée en puissance des attentats islamo-fachistes, elle est cette ligne de fracture que Daech tente d'imposer par la sidération de la violence aveugle au monde Occidental en général, et à la France en particulier, entre les citoyens de confession musulmane qui vivent en Occident et les européens non musulmans.
Gilles Kepel a ce formidable talent qui permet de faire saisir à ses lecteurs, la complexité de phénomènes globaux qui font partie de notre environnement et s'imbriquent depuis plusieurs décennies au travers d'enjeux sociologiques et géopolitiques entre lesquels on ne fait a priori aucun lien mais qui convergent vers ce panier de crabes vers lequel les attaques terroristes incessantes de ces dernières années tentent de nous attirer.
La démonstration est claire, le constat est sans appel : que l'on soit homme politique ou simple citoyen, quelles que soient nos obédiences politiques ou religieuses, nous sommes confrontés à un défi qui s'enracine profondément dans nos sociétés et qu'il est de notre devoir à tous de comprendre pour éviter que la déraison fasse le jeu des intégristes fascistes qui honnissent nos modes de vie.
[Avis posté sur Babelio]

Apprentice (Boo Junfeng)

note: 4Un bourreau pour personnage principal Marcello - 11 janvier 2018

Un film à la thématique rarement abordée au cinéma, à savoir le point de vue d'un bourreau de condamnés à mort.
La réalité montrée est frontale sans être voyeuriste, grâce à une mise en scène feutrée et délicate.
Grâce au talent du réalisateur et à la qualité du scénario, ce qui aurait pu être un pensum politique anti peine de mort, ou un spectacle démonstratif, s'avère être un film à la trame habilement construite.
Le récit parallèle (qu'il faut laisser découvrir au spectateur pour éviter d'en dévoiler trop) s'imbrique au reste du récit et le justifie d'une manière subtile et dramatique.
Les acteurs - inconnus de nous, spectateurs occidentaux - sont impeccables de justesse.
Un film troublant à découvrir, qui offre l'avantage de "décrasser" nos yeux habitués à des mises en scène formatées.

Frantz (François Ozon)

note: 5Osez Ozon ! Marcello - 11 décembre 2017

D'un film à l'autre, avec des sujets toujours très différents les uns des autres, François Ozon étoffe sa filmographie et construit un univers très à part dans le paysage cinématographique français ; "Frantz" ne déroge pas à cette règle et nous emporte toujours là où le spectateur ne l'attend pas en déployant un récit qui sans cesse surprend.
Le magnifique noir et blanc insuffle à cette histoire émouvante un supplément de poésie et de grâce visuelle rares.
Le bel accompagnement musical de Philippe Rombi ajoute une émouvante touche émotionnelle à ce film qui jouit d'une remarquable interprétation de l'ensemble des acteurs.

The Driver (Walter Hill)

note: 4Polar urbain hard-boiled seventies au visuel très suggestif Marcello - 11 décembre 2017

Voici le film auquel "Drive" (avec Ryan Gosling) doit tout... Ou tout du moins, son prologue et sa trame principale.
Le réalisateur Walter Hill est connu des cinéphiles pour son film d'action urbaine "Les guerriers de la nuit" (The warriors).
Ce film se distingue par ses séquences de poursuites automobiles dans une Los Angeles au rendu visuel urbain très cinégénique auquel 
Michael Mann doit beaucoup (la photo est très "métallique", entre les bleus et les verts).
C'est Ryan O'Neal, très célèbre à l'époque pour ses rôles principaux dans "Love story" et "Barry Lyndon", qui interprète le "driver" du titre.
Le récit est resseré, réduit à sa plus simple expression (ce que le cinéma hollywoodien de ces 30 dernières années ne sait malheureusement plus faire). Tout y est dégraissé, sec, et le film qui dure moins de 90 minutes y gagne en efficacité (on n'explique rien des motivations, des origines des personnages, pas de psychologie inutile).
Les personnages sont réduits à leur fonction narrative, ils n'ont d'ailleurs pas de noms et s'interpellent par leur fonction (la VO est plus claire à ce sujet, contrairement à la VF où de "driver", le personnage principal devient "cow-boy"...).
La qualité du master est époustouflante de beauté, les couleurs sont vivifiantes et les nombreuses séquences nocturnes jouissent d'une belle lisibilité.
Une belle édition pour ce film efficace qui nous fait regretter un certain cinéma d'action des seventies.

Divines (Houda Benyamina)

note: 1Antoine Doinel, au secours !! Marcello - 23 octobre 2017

Bien qu'ayant reçu quelques reconnaissances au festival de Cannes 2016, voilà un film qui tente - à mon sens - de faire passer des vessies pour des lanternes.
La réalisatrice se veut le porte-parole privilégié de la jeunesse des "quartiers" et tente d'insuffler de la poésie et de porter un regard tendre envers des personnages que personne ne voudrait avoir à cotoyer dans la vraie vie, tant ils sont irritants et insupportables.
L'arrogance vulgaire, l'irrespect de tout, la violence physique et verbale se veulent être une forme de rébellion saine à l'égard de la société (forcément mauvaise et oppressante), la soif de succès et d'argent sont censés révéler une forme de jeunesse et de vitalité intrinsèque aux ignorants incultes et fiers de l'être. On est très loin de la rébellion propre à la jeunesse telle que nous la montrait Truffaut dans "Les 400 coups".
Antoine Doinel avait Balzac comme modèle, volait une bouteille de lait pour se nourrir durant sa fugue d'une nuit, puis volait une machine écrire pour terminer tout penaud, dans un centre de redressement.
Dans "Divines", les héroïnes volent et dealent avec Tony Montana de "Scarface" en guise de personnage inspirant, caillassent la police pour ressortir le lendemain avec la bénédiction de leurs parents et finissent par se voir "offrir une leçon" après avoir donné accidentellement l'une des leurs en sacrifice au feu.
Autres temps, autres moeurs, me direz-vous...

Shining au miroir (Loig Le Bihan)

note: 5L'exégèse la plus exhaustive écrite à ce jour en français sur le Shining de Kubrick Marcello - 27 septembre 2017

Saluons les éditions Rouge profond ainsi que son auteur, pour cette audacieuse publication, qui offre au lecteur francophone l'étude la plus complète existant à ce jour sur le "Shining" de Kubrick.
Les deux montages existants sont mis en regard (les pistes interprétatives n'aboutissent pas aux mêmes conclusions selon que l'on regarde le montage US ou le montage européen).
Toutes les analyses parues ces 30 dernières années tant en France que dans les pays anglo-saxons sont passées au peigne fin, des plus sérieuses aux plus farfelues.
Les archives Stanley Kubrick relatives à la préparation et au tournage sont mises à contribution pour étayer (ou déconstruire) certaines infos fallacieuses qui ont pu circuler ici ou là.
Le roman d'origine n'est évidemment pas oublié en cours de route et les bibliographie, sitographie sont impressionnantes.
Il s'agit d'une étude universitaire, avec ce que cela suppose de jargon dans les domaines linguistique et sémiotique, notamment.
La lecture est parfois ardue, mais le vrai passionné de "Shining" en particulier, et du cinéma de Kubrick en général (des croisements thématiques sont effectués avec d'autres films de Kubrick, notamment avec "2001") trouvera son bonheur dans cette passionnante exégèse d'une oeuvre qui continue de distiller un méphitique effet hypnotique sur ses spectateurs.
Une magnifique somme critique agrémentée de belles petites illustrations qui viennent appuyer et aérer le propos.

Collector (Olivier Bonnard)

note: 4Un "Collector" avec du coeur Marcello - 27 septembre 2017

Pour peu que vous ayez grandi entre la fin des années '70 et le début des années '80, que vous ayez perdu de longues heures de votre vie devant le petit écran à vous gaver des manganimes diffusés durant les programmes pour enfants présentés par Dorothée, ce livre devrait constituer une madeleine de Proust d'une redoutable efficacité.
Ajoutez à cela une louchée de fantastique tout en délicatesse (du genre qui fleure bon la nostalgie de l'enfance perdue et des "belles années" qui ne reviendront pas), une pincée de suspens tiré au cordeau sur son lit de personnages solidement campés ; vous obtenez un sympathique roman français avec du coeur et qui - à mon sens, n'a rien à envier aux meilleurs récits de voyage dans le temps anglo-saxons.

L'auteur fait partie de la génération qu'il décrit et a su restituer avec talent, des sensations et des souvenirs qui feront surtout vibrer les lecteurs concernés (dont je fais partie).

Ressources inhumaines (Frédéric Viguier)

note: 4La description clinique d'une jeune arriviste dans le monde de la grande distribution Marcello - 31 août 2017

J'ai rapidement accroché au style de ce roman qui m'a parfois fait penser à "La condition pavillonnaire" de Sophie Divry dans ce regard froid et clinique que l'auteur porte sur son personnage principal.
Toute empathie est exclue, ce qui a pour effet de décupler l'antipathie qu'éprouve le lecteur à l'égard de l'anti-héroïne dont on suit le récit sur un arc temporel d'une vingtaine d'années. Un sentiment d'autant plus trouble que l'on se prend au jeu et que l'on a tout de même envie d'aller au terme de cette histoire, pour assister au gâchis d'une existence toute dédiée au travail, exempte de spiritualité.

Le début du roman pourrait laisser penser qu'il s'agit d'une analyse du management dans les hypermarchés de la France profonde, que l'on va y croiser une foule de personnages. Mais l'action se concentre sur l'intériorité du personnage principal.
On y apprend certes beaucoup de choses sur cet univers que l'on croit connaître (le fréquenter en tant que client ne suffit de loin pas à comprendre tout ce qui se joue dans ses laides coulisses), mais cela n'est pas le but du roman.
Le monde de l'hypermarché n'est là que pour accentuer ce tableau d'une jeune femme du 21e siècle, presque dénuée d'âme et pour cette raison, totalement en adéquation avec un environnement professionnel artificiel et qui - au lieu de s'humaniser au contact de ses collègues - va s'enfoncer dans la déshumanisation.
Un roman glaçant et prenant à la fois.

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